Abdul-Azam Azizi, interprète-médiateur diplômé du DIU H2M et étudiant à l'Inalco

Abdul-Azam AZIZI est originaire d’Afghanistan, plus précisément de Kaboul. Il est arrivé en France il y a 3 ans. Il est interprète-médiateur diplômé de la 1ère promotion du DIU Hospitalité, Médiations, Migrations (Inalco-Université de Paris) et poursuit ses études à l'Inalco en Relations internationales et en persan. Il est aujourd'hui bénéficiaire de la protection subsidiaire.
Portrait d'Abdul Azam Azizi, diplômé du DIU Inalco)
Quelle est votre formation initiale ? vos études et/ou profession en Afghanistan. 
 
 A Kaboul, J'étais étudiant en 3 ème année de Droit et Sciences politiques quand j’ai dû partir. Je souhaitais devenir professeur à l’Université. Et pour payer mes études, j’étais enseignant d’histoire et de persan (langue et littérature) pour un niveau collège.  
 
Quand êtes-vous arrivé en France ? 
 
Je suis arrivé en France en janvier 2017 à Paris, gare du Nord. 
 
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? 
 
Dès que je suis arrivé en France, j’ai rencontré pas mal de difficultés. Au début, j’étais "dubliné"1. Mes empreintes avaient été prises en Norvège et là-bas, on m’avait refusé le statut de réfugié donc j’avais peur d’être renvoyé de France comme je l’avais été de Norvège. Et si j’étais renvoyé par la France en Norvège, le pays que j’avais fui, c’était risquer l’expulsion en Afghanistan. Je ne savais pas où aller, je ne parlais que quelques mots grâce aux cours de français de mon lycée. J’ai passé une semaine dans la rue avant de réussir à rentrer dans le camp de réfugiés de la Chapelle. J’avais des espoirs car normalement dans le camp, ils donnent de l’aide aux arrivants. Mais après 3 jours, ils m’ont transféré à Tarbes.  
 
Une fois là-bas, environ un mois après, ils ont pris mes empreintes et les problèmes ont commencé. Selon la procédure, pour déclarer ma présence sur le territoire, je devais me présenter au commissariat chaque semaine. Ce que j’ai fait jusqu’à ce qu’un jour, ils ferment les portes sur moi et me disent que je ne pouvais pas repartir cette fois. Ils m’ont transféré au centre de rétention de Toulouse, la dernière étape avant de me renvoyer en Norvège. Je suis resté au centre une dizaine de jours et je me suis présenté au tribunal deux fois, mon dossier a été rejeté à chaque fois donc j’allais être expulsé. J’ai eu un coup de chance car au dernier moment un article a paru plus indulgent envers les réfugiés qui respectaient la procédure.  
 
Cet article autorisait les réfugiés à partir d’eux-mêmes et non contraints par la force. A la dernière minute, j’ai eu droit de me présenter une troisième fois au tribunal et là le juge m’a libéré du centre de rétention. Je suis retourné à Tarbes et j’ai fui à Paris, de crainte de retourner au centre de rétention et d’être expulsé pour de bon. Ensuite j’ai vécu 18 mois dans la clandestinité. Grâce à des amis, je ne dormais plus dans la rue mais je n’avais le droit ni à l’Université, ni au travail, ni à aucune aide. Pour reprendre mes études d’une manière ou d’une autre, j’ai commencé les cours de français dans différentes associations à Paris et en Ile de France. Gräce à ces cours, j’ai enfin réussi à acquérir un niveau débutant en langue française fin 2018. 
 
Comment avez-vous connu l’Inalco ? 
 
Grâce aux bénévoles de l'association ‘la 1011’ qui donnait des cours de français à la MIE Paris 3eme, j’ai entendu parler de l'Inalco. Je n'arrêtais pas de demander de l’aide pour rentrer à l’Université et reprendre mes études alors une bénévole m’a conseillé de me renseigner sur Inalc’ER. Je ne perdais pas ma volonté de revenir à l’Université. Elle m’a parlé d’un programme destiné aux réfugiés et m’a dit d’essayer de déposer un dossier. Elle m’a précisé que c’était une Université de Langues et qu’avec ma maîtrise du persan, je pourrais même étudier là bas en prolongement. J’ai déposé mon dossier, j’ai passé un petit test de maîtrise de langue française avec le directeur d’Inalc’ER et j’ai reçu une réponse positive une semaine après. J’étais si content, c’était le premier système où j’étais officiellement accepté pour suivre des cours officiels dans un espace académique, mon rêve depuis longtemps. Tout cela s’est passé en décembre 2018. 
 
Comment s’est passée votre intégration au sein de l’Inalco ? 
 
Début 2019, j’ai intégré le programme Inalc’ER. C’était une dizaine d’heures par semaine environ, je me souviens pas très bien car il s’est passé beaucoup de choses après. Petit à petit j’ai rencontré des camarades de tous les pays, j’ai profité des tuteurs, des étudiants en maîtrise par exemple qui étaient très gentils. Ils nous indiquaient comment dépasser les difficultés au niveau des cours. J’ai profité de professeurs qui étaient tellement investis. Sans cesse ils nous accompagnaient, ils nous apprenaient le français mais pas seulement, ils nous montraient le chemin et les différentes possibilités que nous pouvions avoir si nous souhaitions travailler ou étudier. C’était très concret et stimulant. Par exemple on avait des rendez-vous dans des écoles de commerce pour connaître ce milieu, à la BNF pour les expositions… Ils nous montraient toutes nos possibilités en tant qu’étudiant. 
 
Parlez-nous de votre parcours à l’Inalco  
 
L’Inalc’ER, c’est sur deux ans. Pour ma part, j’ai suivi tous mes cours de langue et d’intégration jusqu’à l’été 2019 puis j’ai tenté d’intégrer la 2ème année de Relations Internationales et Langue Persan. J’ai réussi à suivre ce cursus l’année dernière et j’ai aussi eu la chance de faire partie de la première promotion du DIU H2M dont m’avait parlé mon professeur d’Inalc’ER. 
 
Pourquoi avez-vous choisi cette formation ?

J’avais plusieurs raisons. Je voulais travailler auprès des exilés et avoir une légitimité. Ici, sans diplôme c’est un peu compliqué, cela permet aussi de mettre en avant des compétences. En plus, je venais de vivre ce parcours de migrant. J’ai senti que je pouvais apporter beaucoup d’aide. Je comprenais les difficultés qu’on pouvait passer dans ces situations. Être interprète, je l’avais été à Pôle Emploi, à la Mission Locale, à la CAF, à la Préfecture, à la banque… mais je pensais que c’était bien d’approfondir mon action. La médiation, c’était une idée importante et intéressante pour moi, pas seulement traduire mais établir un lien avec les personnes et entre les personnes. Personnellement, je n’aime pas le conflit et je cherche toujours des solutions, j’ai pensé que je pourrais réussir dans ce métier. 
 
Combien de langues maîtrisez-vous ?

Je maîtrise 4 langues. Ma langue maternelle, le persan. Je comprends le pachto également, la seconde langue officielle en Afghanistan. Je lis et j'écris l'arabe. Je parle couramment le français. Je parle un peu l'anglais et le norvégien de par mes voyages et mes études.

Durant la crise sanitaire, votre promo du DIU s'est mobilisée en faveur des personnes vulnérables. Racontez-nous votre expérience. 
 
Pour commencer, je dois dire que moi-même je n’étais pas très en forme pendant le confinement. Je m’ennuyais et je perdais mon enthousiasme petit à petit. Je poursuivais mes cours mais je n’étais pas très bien. Soudainement, les professeurs ont proposé de soutenir concrètement les gens qui rencontraient des difficultés de compréhension ou de solitude avec la crise. Ce travail m’a beaucoup aidé, ça change les choses d’être utile pour les gens qui ont plus besoin d’aide que moi. J’ai traduit, interprété, j’ai mis en forme des documents précieux, par exemple des textes d’information pour la Croix Rouge dans le contexte de la crise sanitaire, des renseignements de la préfecture sur les procédures de demande d’asile ou les dispositifs sanitaires, les guides de Watizat. J’ai aussi travaillé avec Le Cèdre pour prendre des nouvelles régulièrement de personnes loin de leur pays et sans famille ni proches. 
 
Comment améliorer les dispositifs d’accueil aux étudiants exilés mis en place à l’Inalco ? 
 
Sur le site de l’Inalco, je pense qu’il serait intéressant de donner un peu plus d’informations pour les étudiants exilés. Ils ne savent pas toujours ce qu’ils peuvent faire ou pas pour poursuivre leurs études par exemple. Aussi pendant les cours, on a précisé qu’il serait intéressant d’avoir un bureau de médiation pour les étudiants exilés pour prévenir les malentendus entre étudiants et professeurs par exemple et aussi pour les accompagner dans le système scolaire français. 
 
Avez-vous d’autres activités en dehors de l’Inalco ?
 
Je travaille à la BULAC, bibliothèque de l’Université. Je suis investi dans plusieurs associations, notamment culturelles.  
 
 Quels sont vos projets, vos objectifs ? 
 
J’aimerais continuer mes études jusqu’au doctorat et devenir professeur à l’Université. J’espère travailler dans un domaine de médiation culturelle entre France et Afghanistan. 
 
Quel conseil ou message avez-vous envie de transmettre aux nouveaux étudiants du DU passerelle ou du DIU H2M ? 
 

Un seul message : Profitez de cette année si riche avec des rencontres importantes, un chemin qui s’ouvre pour vous vers l’avenir. Vous trouverez un réseau formidable et des expériences à partager avec les professeurs, les camarades et les intervenants. 


1 "dubliné" désigne les demandeurs d’asile qui font l’objet d’une procédure selon le règlement de 2013 dit Dublin III, qui stipule qu'une demande d'asile ne peut être examinée que par un seul pays européen, en général le premier pays d'entrée en Europe où ont été recueillies les empreintes digitales.