Exposition photographique : Les dortoirs de Yoshida, du 1er au 19 avril à l'Inalco
A partir du 1er avril, découvrez l'exposition photographique de Jean-Louis Porte sur les dortoirs historiques de Yoshida (université de Kyôto). Promis à la fermeture, ils abritent encore aujourd’hui des étudiants et diverses activités culturelles et artistiques.

Les dortoirs de Yoshida
Une exposition photographique de Jean-Louis Porte
Du 1er au 19 avril 2019
Galerie d'exposition du Pôle des Langues et Civilisations
Construits en 1913, les dortoirs Yoshida de l’université de Kyôto sont depuis peu projetés sous les feux de l’actualité au Japon : ils font l’objet de projets de fermeture, suscitant toutes sortes de réactions : politiques, académiques, idéologiques, civiles…
Pour cause, ces dortoirs sont les plus anciens au Japon abritant encore aujourd’hui une centaine d’étudiants et diverses activités culturelles et artistiques à Kyôto. Cette ancienneté attire l’attention des architectes et des historiens qui y voient des matériaux d’études hors pair. La valeur des dortoirs se trouve augmentée avec la découverte en 2012 de l’année de construction de la cuisine, un lieu hautement symbolique car accueillant des personnes extérieures ; elle daterait de 1897, ce qui en fait le bâtiment le plus ancien de l’université de Kyôto.
Outre ces valeurs historiques intrinsèques, les dortoirs attirent les études en sciences sociales de par leur organisation complexe, soumise à la décision du collectif. En effet, cet espace relève d’un lieu autogéré par les étudiants (jichiryô) qui restent souverains dans l’organisation de la vie au quotidien dont les recettes et dépenses ; l’admission et l’exclusion des membres des dortoirs ; et in fine l’avenir de ces lieux. Cette autonomie est à la fois la garantie de l’indépendance des étudiants mais aussi la source des tensions avec la ville et l’université qui souhaitent intervenir dans ce lieu pour des raisons de sécurité (raison contestée par les étudiants).
Ces vies étudiantes, à la fois originales et collectives, partagées entre l’autonomie et la subordination, portent des valeurs qui se veulent éternelles malgré leur statut éphémère. Grâce à cette exposition de Jean-Louis Porte, elles nous sont données à voir dans toute leur complexité.

« Yoshida est un des trois campus de l’université de Kyôto, la deuxième université du pays. Les plus anciens dortoirs de ce campus, construits en 1913, hébergent encore des étudiants et des étudiantes. Ce sont trois longs bâtiments en bois, à un étage, reliés entre eux par un couloir qui donne sur l’entrée commune. Les constructions, soignées, magnifiques, rare exemple de bâtiments administratifs en bois encore en fonction, ont résisté aux calamités naturelles, évité les incendies et témoignent d’un passé et d’un savoir-faire architectural qu’on ne retrouve plus guère au Japon en dehors des temples et des sites historiques.
Les dortoirs de Yoshida sont autogérés par les étudiants, une autogestion qui s’étend aux espaces communs : le hall qui englobe une salle de repos et de spectacle, une vaste cuisine dite shokudô, un lieu pour les musiciens en répétitions quotidiennes, et les espaces verts entre les bâtiments, appelés « la jungle », où courent des poules.
Les chambres sont construites à l’identique : cinq tatamis au sol, deux mètres cinquante de hauteur, une fenêtre sur l’extérieur, une sur le couloir, un placard, une entrée.
Quand mon fils aîné en service civique à Kyôto m’a emmené visiter les dortoirs, trois choses m’ont interpellé : la beauté des lieux, l’atmosphère hors du temps qui s’en dégage et l’incroyable diversité des aménagements intérieurs réalisés par les étudiants dans leurs chambres individuelles. C’est à ce moment là que j’ai envisagé de revenir faire leurs portraits lors d’un prochain voyage.
Pourtant, quelques mois plus tard il n’était plus possible d’entrer dans les dortoirs de Yoshida sans y être invité ou avoir l’accord du collectif étudiant qui en assure la gestion. L’atmosphère avait changé, les dortoirs avaient été déclarés insalubres par l’administration et promis à la destruction, les étudiants devaient quitter leurs chambres.
La moitié d’entre eux est partie, les autres contestent la décision dont ils affirment qu’elle n’a pour but véritable que la fin de l’autogestion étudiante du lieu et de la vie communautaire qui en découle, pour preuve la destruction annoncée d’une extension récente des dortoirs, construite dans les années 2010.
C’est dans ce contexte que j’ai exposé mon projet photographique au collectif. Celui-ci l’a accepté à condition que pour l’instant les portraits ne soient pas exposés à Kyôto où de futurs employeurs, via l’exposition ou via la presse, pourraient découvrir des visages et des identités qu’ils mettraient ensuite sur liste rouge.
Les résidents actuels défendent la survie du lieu parce que c’est un bâtiment historique, parce que les loyers sont très bas, 30 euros par mois, parce que la vie collective qu’ils partagent entre les dortoirs, la cuisine, la salle de musique et l’espace de repos et de spectacle est une affirmation de solidarité et de partage qui résulte de la longue histoire d’autogestion étudiante du lieu.
C’est tout cela qu’ils veulent préserver, au moins pendant leur vie étudiante. »
Jean Louis Porte

"[...] Disons seulement que si le Japon n’est pas une civilisation du conflit ouvert, il n’en est pas pour autant, contrairement à une idée reçue et malgré l’homogénéité sociale et le consensus apparents, une société monolithique. Depuis Meiji, la mainmise de l’élite dirigeante sur la mémoire nationale a tendu à minimiser, sinon à occulter, la contestation, la rébellion, la révolte, en les réduisant à une sorte d’« invisible social » ; en somme, à des « accidents » de l’histoire, c’est à dire à des faits dont on occulte délibérément la valeur significative. Il y a en réalité à découvrir à travers une lecture conflictuelle de l’histoire du Japon tout un phylum contestataire particulièrement riche. Il est d’ailleurs symptomatique que le rebelle, le hors-la-loi, le terroriste, l’errant, le déchu, le déviant ou le nihiliste soient des grandes figures de l’imaginaire social nippon. Leur saga s’inscrit dans une « tradition du refus ». Autre mémoire de la modernité japonaise."
Philippe Pons, D’Edo à Tokyo : mémoires et modernités, 1988.
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Asie et Pacifique