La statue de Sylvestre de Sacy

Toute personne étant un jour entrée à l’Inalco, étudiant, enseignant ou administratif, connaît la statue de Sylvestre de Sacy*, ou tout au moins la visualise-t-elle. Bien entendu, nous savons tous que cette effigie trône dans la cour de la rue de Lille et garde d’un œil bienveillant nos murs historiques. Nous serions presque d’accord pour dire que cette figure représente un des fondateurs de notre Institut. Mais connaissons-nous vraiment les menus détails ayant participé à l’installation de cet ouvrage symbolique dans la cour de la rue de Lille ?
Statue de Sylvestre de Sacy Inalco PARIS
*À noter que l’orthographe du nom Sylvestre prête à confusion dans les documents d’archives. Elle est en effet notée avec un Y (Antoine-Isaac Sylvestre de Sacy), alors que l’écriture correcte est avec un I, soit Antoine-Isaac Silvestre de Sacy. Pour cet article, nous avons gardé l’orthographe des documents originaux. Sur le socle de la statue, il est bien indiqué « Silvestre de Sacy 1758-1838 »


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C’est avant tout une histoire de famille, et l’Inalco aime les histoires de famille, parce que l’Inalco est une grande famille.



Deux frères sculpteurs au talent fécond


« Il était donc une fois » deux frères complémentaires : Louis Rochet et Charles Rochet. Tous deux sculpteurs, Louis ayant la particularité d’être un orientaliste.

La production à quatre mains est abondante et remarquée par les pouvoirs publics français et étrangers. En France, ce sont, pour ne citer que les plus célèbres, le groupe équestre de Charlemagne et ses Leudes dressé sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris, la statue épique de Guillaume le Conquérant érigée face à l’hôtel de ville de Falaise, l’effigie en bronze de Napoléon Bonaparte, élève de Brienne… En 1857, Louis remporte le concours pour un groupe monumental devant représenté l’empereur Pierre 1er du Brésil.

Ce sculpteur français puise donc son inspiration parmi les personnalités historiques illustres.


L’alliance de la connaissance de l’art et de la langue


Louis Rochet ne se contente pas d’être un artiste reconnu par son temps, il s’intéresse à l’étude du mandchou et du mongol et devient membre de la Société asiatique. Il demande l’autorisation d’ouvrir un cours pour l’enseignement du mandchou et du mongol en 1874 à l’Ecole des langues orientales vivantes. Autorisation accordée le 6 avril 1875.

Aussitôt arrivé, aussitôt imprégné dans l’histoire de l’École, il demande au ministre de Beaux-Arts « d’approuver l’érection de la statue du plus célèbre orientaliste de notre temps, Sylvestre de Sacy, qui comme professeur et administrateur a été au commencement du siècle le plus illustre représentant de cet établissement ». La raison de ce projet est un véritable hommage au savant : « l’image de Sylvestre de Sacy rappellera au monde savant que notre pays, en élevant cette statue, n’a pas voulu seulement honorer un de ses plus illustres enfants, mais encore un des hommes dont la vie et la science sont une des gloires les plus pures de l’érudition française » (lettre du 28 juin 1875).

Il semble que cette demande soit laissée sans réponse puisque le 12 mars 1877 Louis Rochet écrit la même lettre au ministre de Beaux-Arts ; et le sculpteur meurt le 21 janvier 1878 ne sachant pas si la cause de son projet a trouvé grâce aux yeux de l’État.


Le modèle sauvé, acquis, fondu et enceinté


En réalité, Louis n’a pas attendu l’accord du ministre pour commencer à se mettre au travail. C’est ainsi qu’après sa mort, son frère propose le modèle en terre de la statue. Un inspecteur est dépêché afin d’examiner l’ensemble. La description faite dans son rapport est très élogieuse : « L’ouvrage en lui-même m’a paru digne de sa destination. L’illustre savant est représenté assis dans une attitude mi-oisive. La tête, modelée d’après des documents authentiques, est fière et expressive. Le corps maigre et chétif, est bien posé dans son fauteuil. Tout l’ensemble donne l’idée d’un homme consumé par les travaux et les veilles ». C’est pourquoi, l’inspecteur préconise d’achever l’ouvrage en le livrant au fondeur et de l’acheter d’autant plus que l’administration des Beaux-Arts est libre de fixer le prix (rapport du 25 juillet 1878). Devant tant de bonne volonté, le 5 août 1878 la statue est acquise par l’État pour 3 000 francs, environ 10 500 euros, afin d’être enceintée dans la cour de l’École des langues orientales.

L’administration est chargée de faire exécuter la statue en bronze à partir du modèle en plâtre. La société Thiébaut et fils réalise l’opération et pour « ce travail bien soigné » demande 6 000 francs, le double du prix de l’acquisition du modèle.

Une fois la fonte en bronze achevée, l’ouvrage entre dans l’inventaire des objets d’art de l’État sous le numéro 643. Conservée quelques temps au dépôt des Champs-Elysées, la statue est enfin livrée à l’École des langues orientales vivantes le 29 novembre 1880 par les bons soins de M. Toussaint, emballeur de l’Administration.



Transcription de la lettre du 28 juin 1875, que Louis Rochet écrit au ministre des Beaux-Arts

« L’École des langues orientales vivantes possède aujourd’hui rue de Lille n°2 un local digne du haut enseignement qui depuis sa fondation fait l’honneur de la France.

Interprète de la pensée du savant professeur M. Schefer, directeur de l’École, je viens vous faire part Monsieur le Ministre, du désir que nous aurions de voir élever au milieu de la cour d’honneur de cette école la statue du plus célèbre orientaliste de notre temps, à Sylvestre de Sacy, qui comme secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions, comme professeur et administrateur, a été au commencement de ce siècle le plus illustre représentant de cet établissement.

C’est pour atteindre à ce but, que je viens vous prier Monsieur le Ministre, de vouloir bien approuver l’érection de ce monument et me confier l’exécution du modèle de cette statue.

Placée à Paris, au centre de cette école, l’image de Sylvestre de Sacy, rappellera au monde savant que notre pays en élevant cette statue n’a pas voulu seulement honorer un de ses plus illustres enfants, mais encore un des hommes dont la vie et la science sont une des gloires les plus pures de l’érudition française.

Daignez agréer Monsieur le Ministre l’expression de mes sentiments profondément respectueux. »

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Les photographies de la statue de Silvestre de Sacy sont © Inalco.
Les copies des documents d'archives sont © Archives nationales, F/21/250, Inalco.



 

En savoir plus

Statue de Silvestre de Sacy (Grand format). Inalco, rue de Lille.
Lettre de Louis Rochet, sculpteur pour l'érection d'une statue de Silvestre de Sacy
Rapport de l'inspecteur des Beaux-Arts du 25 juillet 1878_1
Rapport de l'inspecteur des Beaux-Arts du 25 juillet 1878_2
Lettre d'acquisition de la statue de Silvestre de Sacy en 1878.
Document de livraison de la statue de Silvestre de Sacy en 1880.