Politique linguistique familiale : oralité et transmission
Les études sociolinguistiques menées dans le champ disciplinaire de la « politique linguistique familiale » - abondamment travaillée depuis une vingtaine d’années (Curdt-Christiansen and Huang 2020; Spolsky 2019 ; Blommaert 2019; Schwartz et Verschik 2013) - ont montré l’importance cruciale des dynamiques langagières plurielles à l’œuvre au sein du microcosme familial mono-bi-plurilingue considéré comme le lieu privilégié de la socialisation et de la transmission inter-générationnelle. Si les travaux menés ces dernières années dans le champ de la politique linguistique familiale - en particulier concernant les familles en contexte migratoire stable - ont abondamment travaillé les aspects méthodologiques et épistémologiques, à notre connaissance, peu de travaux ont accordé une place spécifique à l’oralité.

Date limite :
Samedi, 1 mai, 2021
Equipe de recherche :
Nous avons le plaisir de vous annoncer l'ouverture de notre symposium international :
APPEL A COMMUNICATIONS
29-30 novembre 2021
Adresse du site : https://plf-oralite.sciencesconf.org/
Lieu : Inalco, Paris
Comité d'organisation : Shahzaman Haque & Françoise Le Lièvre
Adresse mél : symposiumplf[at]gmail.com
Calendrier :
Ouverture de l’appel à communication :15 janvier 2021
Date limite de réception des propositions : 1er mai 2021
Notification de décision : 15 septembre 2021
Date du colloque : 29-30 novembre 2021
La 2e édition du symposium sur la politique linguistique familiale invite les chercheurs à réfléchir et à questionner l’oralitéau sens de Derrida, c’est-à-dire comme une communication « en présence », une présence naturelle et immédiate qui donne du sens à « l’âme dans le logos » (Derrida, 1967). Dans le cadre familial, l’oralité doit être vue comme un canal de communication dynamique et directe entre les parents et les enfants, donnant à voir la représentation de soi et des autres par le biais de la ou des langues parlées, chantées ou même psalmodiées.
Dans certaines civilisations où l’écrit tient peu de place, communiquer oralement est encore aujourd’hui un puissant outil pour transmettre le savoir, les pratiques cultuelles et culturelles (Cohen et Lesley 2015). Ainsi Ameziane (2013) souligne l’importance primordiale de l’oralité comme mode d’expression littéraire privilégié des Berbères en Afrique du nord. Selon Devy et Davis (2021) « Language and orality are two major fronts of the existential struggle that the indigenous peoples of the world have to face ». En ce sens, comme le remarque Uzendoski (2012), l’oralité ne doit pas être limitée à l’alphabétisation chez les peuples indigènes pour lesquels la pratique de l’oralité est centrale. Il rappelle qu’il existe des formes de textualité riches et complexes pratiquées par des cultures non-scripturales en Amérique, en Afrique et ailleurs (Arnold et Yapita 2006 ; Finnegan 2007 ; Hill et Mignolo 1994). Par textualité, Uzedonski entend parler de pratiques multimodales reposant sur le chant, la musique, la danse, la narration, le rituel et d’autres activités humaines. Il s’agit alors de parlers des « cultures orales » ce qui englobe les mythes et les rites dans leurs acceptions multiples : conte populaire et littérature orale (voir Goody 2014) pour lesquels nous essaierons d’examiner leur apport dans la transmission du savoir et du langagier au sein du cadre familial. On remarquera à la suite de Ndjavé (2013) que « la pratique du conte se perd dans les grandes villes au profit d’autres types de cultures (…), la prédominance de l’écrit des médias semble nettement établie : une perte de transmission du savoir d’héritage ou de la culture indigène faute de la place de l’oralité au sein de la famille».
Comme le montrent les travaux de Greimas (1976), un intérêt tout particulier doit être porté aux différentes modalités de l’oralité décrites comme suit :
- l’oralité comme culture (cultures exotiques, cultures premières, cultures enfantines)
- l’oralité comme mode anthropologique de communication (s’adresser aux morts ou à Dieu, parler aux animaux, aux objets, à soi-même),
- l’oralité comme genre de discours (comptine, berceuse, dicton, chanson, etc.)
- enfin l’oralité comme pratique ordinaire (oralité spontanée, régulée ou formalisée).
Des travaux plus récents viennent compléter la conception de l'oralité par Greimas, entendue dorénavant comme un domaine disciplinaire (Voir Ursula Baumgardt https://oralites-du-monde.huma-num.fr/ ) mettant la parole au centre de la communication au sein de l’oralité.
Le travail ethnographique et sociolinguistique conduit par Haque (2019) dans une famille hmong en France a montré à quel point la pratique cultuelle du chamanisme, accompagnée de longues récitations psalmodiées, a pu susciter chez l’aîné de l’intérêt et de l’attachement à la langue hmong et à sa communauté, avec lesquelles la fratrie semble avoir pris ses distances. De même, il a été démontré que les prières en sanskrit, arabe, ourdou ou même en pendjabi dans des familles d’origine indienne en Europe ne sont pas sans effets quant à la constitution des répertoires verbaux des enfants au fait de ces pratiques religieuses (Haque 2012, Haque (à paraître). Les techniques d’apprentissage des textes sacrés comme celui du Coran dans les écoles coraniques, ou dans les yeshiva chez les juifs diffèrent peu : il s’agit de répéter mot à mot et de mémoriser du texte. De la même manière, dans les fratries, les enfants commencent à apprendre la langue des parents tant que la communication orale dans la langue du foyer est maintenue.Plusieurs études ont montré qu’en contexte migratoire stable, les parents s’adressent à leurs aînés dans leurs langues d’héritages : c’est grâce à ces discours oraux souvent constitués dedifférentes formes de parler bilingue (alternances codiques, changements de code, emprunts ; cf. Lüdi et Py, 2003)et marqué par l’hétérogénéité, la non-uniformité, que l’enfant va acquérir les subtilités phonémiques des langues de ses parents (de même que des formes d'expression corporelle socialement et culturellement construites), même si la seule exposition à la langue dure peu de temps, en effet la scolarisation arrive vite. Contexte scolaire dans lequel l'oralité sera reléguée au second plan au profit de l'écriture puisque comme le souligne Langlois (2007), il y a un « déni de l’oralité » par l’institution ou par la culture scolaire.L’oralité, interaction directe, spontanée et crédible, nous apparaît comme l’un des axes centraux dans le domaine de la politique linguistique familiale : de nombreuses études (cas des familles coréennes aux USA par Kang 2015) ont montré que la transmission linguistique n’est pas rompue quand les parents parlent dans leurs langues d’héritage. Ce qu’ont aussi montré les enquêtes menées au Pays de Galles auprès de parents monolingues gallois (Edwards et Newcombe 2005), ou bien au sein des familles immigrantes d’origine indienne en Norvège et en Finlande (Haque 2012). D’autres facteurs, tels que la consistance de l'input, la fréquence d'exposition à la langue, l’usage actif de la langue et la présence d’instructions dans la langue (Montrul 2016) doivent être également pris en considération. Notons aussi que l’oralité est inséparable d’une certaine gestuelle fort susceptible de refléter la pratique culturelle d’un peuple.
Les communications proposées pourront porter sur les questionnements suivants :
- Comment appréhender le rôle de l’oralité pour la transmission des langues d’héritage au sein de la famille ?
- Quelle place les familles issues de l’immigration accordent-elles à l’oralité et comment celle-ci peut-elle être un instrument de préservation des langues d'héritage ?
- Pourquoi l'appropriation de la langue de la famille à laquelle l’enfant a été exposé peut-elle, dans certains cas, ne pas se produire ?
- Comment le déclin dans la transmission linguistique orale a-t-elle un impact sur la langue parentale ?
Nous souhaitons proposer un examen critique de l’oralité dans le champ de la politique linguistique familiale à la lumière des réflexions et des débats relevant non seulement d’une optique sociolinguistique mais aussi d’une approche holistique interdisciplinaire afin de mieux appréhender ses différents apports dans le processus de la transmission linguistique des langues d’héritage ou de leur perte au sein des foyers en contexte migratoire.
APPEL A COMMUNICATIONS
Politique linguistique familiale : oralité et transmission
PLIDAM, Inalco29-30 novembre 2021
Adresse du site : https://plf-oralite.sciencesconf.org/
Lieu : Inalco, Paris
Comité d'organisation : Shahzaman Haque & Françoise Le Lièvre
Adresse mél : symposiumplf[at]gmail.com
Calendrier :
Ouverture de l’appel à communication :15 janvier 2021
Date limite de réception des propositions : 1er mai 2021
Notification de décision : 15 septembre 2021
Date du colloque : 29-30 novembre 2021
La 2e édition du symposium sur la politique linguistique familiale invite les chercheurs à réfléchir et à questionner l’oralitéau sens de Derrida, c’est-à-dire comme une communication « en présence », une présence naturelle et immédiate qui donne du sens à « l’âme dans le logos » (Derrida, 1967). Dans le cadre familial, l’oralité doit être vue comme un canal de communication dynamique et directe entre les parents et les enfants, donnant à voir la représentation de soi et des autres par le biais de la ou des langues parlées, chantées ou même psalmodiées.
Dans certaines civilisations où l’écrit tient peu de place, communiquer oralement est encore aujourd’hui un puissant outil pour transmettre le savoir, les pratiques cultuelles et culturelles (Cohen et Lesley 2015). Ainsi Ameziane (2013) souligne l’importance primordiale de l’oralité comme mode d’expression littéraire privilégié des Berbères en Afrique du nord. Selon Devy et Davis (2021) « Language and orality are two major fronts of the existential struggle that the indigenous peoples of the world have to face ». En ce sens, comme le remarque Uzendoski (2012), l’oralité ne doit pas être limitée à l’alphabétisation chez les peuples indigènes pour lesquels la pratique de l’oralité est centrale. Il rappelle qu’il existe des formes de textualité riches et complexes pratiquées par des cultures non-scripturales en Amérique, en Afrique et ailleurs (Arnold et Yapita 2006 ; Finnegan 2007 ; Hill et Mignolo 1994). Par textualité, Uzedonski entend parler de pratiques multimodales reposant sur le chant, la musique, la danse, la narration, le rituel et d’autres activités humaines. Il s’agit alors de parlers des « cultures orales » ce qui englobe les mythes et les rites dans leurs acceptions multiples : conte populaire et littérature orale (voir Goody 2014) pour lesquels nous essaierons d’examiner leur apport dans la transmission du savoir et du langagier au sein du cadre familial. On remarquera à la suite de Ndjavé (2013) que « la pratique du conte se perd dans les grandes villes au profit d’autres types de cultures (…), la prédominance de l’écrit des médias semble nettement établie : une perte de transmission du savoir d’héritage ou de la culture indigène faute de la place de l’oralité au sein de la famille».
Comme le montrent les travaux de Greimas (1976), un intérêt tout particulier doit être porté aux différentes modalités de l’oralité décrites comme suit :
- l’oralité comme culture (cultures exotiques, cultures premières, cultures enfantines)
- l’oralité comme mode anthropologique de communication (s’adresser aux morts ou à Dieu, parler aux animaux, aux objets, à soi-même),
- l’oralité comme genre de discours (comptine, berceuse, dicton, chanson, etc.)
- enfin l’oralité comme pratique ordinaire (oralité spontanée, régulée ou formalisée).
Des travaux plus récents viennent compléter la conception de l'oralité par Greimas, entendue dorénavant comme un domaine disciplinaire (Voir Ursula Baumgardt https://oralites-du-monde.huma-num.fr/ ) mettant la parole au centre de la communication au sein de l’oralité.
Le travail ethnographique et sociolinguistique conduit par Haque (2019) dans une famille hmong en France a montré à quel point la pratique cultuelle du chamanisme, accompagnée de longues récitations psalmodiées, a pu susciter chez l’aîné de l’intérêt et de l’attachement à la langue hmong et à sa communauté, avec lesquelles la fratrie semble avoir pris ses distances. De même, il a été démontré que les prières en sanskrit, arabe, ourdou ou même en pendjabi dans des familles d’origine indienne en Europe ne sont pas sans effets quant à la constitution des répertoires verbaux des enfants au fait de ces pratiques religieuses (Haque 2012, Haque (à paraître). Les techniques d’apprentissage des textes sacrés comme celui du Coran dans les écoles coraniques, ou dans les yeshiva chez les juifs diffèrent peu : il s’agit de répéter mot à mot et de mémoriser du texte. De la même manière, dans les fratries, les enfants commencent à apprendre la langue des parents tant que la communication orale dans la langue du foyer est maintenue.Plusieurs études ont montré qu’en contexte migratoire stable, les parents s’adressent à leurs aînés dans leurs langues d’héritages : c’est grâce à ces discours oraux souvent constitués dedifférentes formes de parler bilingue (alternances codiques, changements de code, emprunts ; cf. Lüdi et Py, 2003)et marqué par l’hétérogénéité, la non-uniformité, que l’enfant va acquérir les subtilités phonémiques des langues de ses parents (de même que des formes d'expression corporelle socialement et culturellement construites), même si la seule exposition à la langue dure peu de temps, en effet la scolarisation arrive vite. Contexte scolaire dans lequel l'oralité sera reléguée au second plan au profit de l'écriture puisque comme le souligne Langlois (2007), il y a un « déni de l’oralité » par l’institution ou par la culture scolaire.L’oralité, interaction directe, spontanée et crédible, nous apparaît comme l’un des axes centraux dans le domaine de la politique linguistique familiale : de nombreuses études (cas des familles coréennes aux USA par Kang 2015) ont montré que la transmission linguistique n’est pas rompue quand les parents parlent dans leurs langues d’héritage. Ce qu’ont aussi montré les enquêtes menées au Pays de Galles auprès de parents monolingues gallois (Edwards et Newcombe 2005), ou bien au sein des familles immigrantes d’origine indienne en Norvège et en Finlande (Haque 2012). D’autres facteurs, tels que la consistance de l'input, la fréquence d'exposition à la langue, l’usage actif de la langue et la présence d’instructions dans la langue (Montrul 2016) doivent être également pris en considération. Notons aussi que l’oralité est inséparable d’une certaine gestuelle fort susceptible de refléter la pratique culturelle d’un peuple.
Les communications proposées pourront porter sur les questionnements suivants :
- Comment appréhender le rôle de l’oralité pour la transmission des langues d’héritage au sein de la famille ?
- Quelle place les familles issues de l’immigration accordent-elles à l’oralité et comment celle-ci peut-elle être un instrument de préservation des langues d'héritage ?
- Pourquoi l'appropriation de la langue de la famille à laquelle l’enfant a été exposé peut-elle, dans certains cas, ne pas se produire ?
- Comment le déclin dans la transmission linguistique orale a-t-elle un impact sur la langue parentale ?
Nous souhaitons proposer un examen critique de l’oralité dans le champ de la politique linguistique familiale à la lumière des réflexions et des débats relevant non seulement d’une optique sociolinguistique mais aussi d’une approche holistique interdisciplinaire afin de mieux appréhender ses différents apports dans le processus de la transmission linguistique des langues d’héritage ou de leur perte au sein des foyers en contexte migratoire.