Appel à contributions ouvrage collectif "Politique linguistique familiale : interaction verbale et transmission linguistique"

5 juillet 2022
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Les études sociolinguistiques menées dans le champ disciplinaire de la « politique linguistique familiale » ont montré l’importance cruciale des dynamiques langagières plurielles à l’œuvre au sein du microcosme familial mono-bi-plurilingue considéré comme le lieu privilégié de la socialisation et de la transmission inter-générationnelle.
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Appel à contributions ouvrage collectif

Politique linguistique familiale : interaction verbale et transmission linguistique

Préface par
John E. Joseph, The University of Edinburgh

Si les travaux menés ces dernières années dans le champ de la politique linguistique familiale ont abondamment exploré les aspects méthodologiques et épistémologiques, en particulier ceux concernant les familles en contexte migratoire stable, à notre connaissance, peu de travaux ont accordé une place spécifique à l’interaction verbale et « au mouvement empirique de la parole » (Cordingley, 2014). Le fait que Rampton (2017) convoque largement une approche méthodologique et un cadre théorique issus de la Sociolinguistique Interactionnelle (SI) prouve à quel point l’approche novatrice de John Gumperz et de Dell Hymes (1972) a permis l’émergence de travaux fondamentaux dans le domaine de la sociolinguistique ; la SI semble cependant être davantage convoquée dans les domaines de la linguistique ethnographique et de l’anthropologie. Néanmoins, il est urgent et nécessaire de revoir et d’explorer son potentiel du point de vue du paradigme de la politique linguistique familiale.

Le deuxième volume que nous souhaitons publier invite les chercheurs à s’intéresser au rôle primordial de l’interaction verbale en ce qu’il permet d’ouvrir de nouvelles perspectives théoriques en ce qui concerne d’une part, la transmission linguistique intergénérationnelle et d’autre part, l’idéologie linguistique dans le domaine de la politique linguistique familiale.

Hockett ([1951] 2003) a souligné que « la parole précède toujours l’écriture à la fois dans la vie des individus et dans l’histoire humaine » (Hemphill, 2011 :77). Dans le cadre familial, l’interaction verbale doit être vue comme un canal de communication dynamique et directe entre les parents et les enfants, entre les enfants eux-mêmes, donnant à voir la représentation de soi et des autres par le biais de la ou des langues parlées, chantées ou même psalmodiées, que les langues disposent ou non d’un système d’écriture.

Monde oral de l’imitation
Dans certaines civilisations où l’écrit tient peu de place, communiquer oralement est encore aujourd’hui un puissant outil pour transmettre le savoir, les pratiques cultuelles et culturelles (Cohen et Lesley 2015), mais aussi la prosodie et le suprasegmental comme les variations d’intensité, de longueur, de hauteur et le rythme repérables dans la voix (voir Guberina 1965). Ainsi Ameziane (2013) souligne l’importance primordiale de l’oralité comme mode d’expression littéraire privilégié des Berbères en Afrique du nord. Selon Devy et Davis (2021) « Language and orality are two major fronts of the existential struggle that the indigenous peoples of the world have to face ». En ce sens, comme le remarque Uzendoski (2012), l’oralité ne doit pas être limitée à l’alphabétisation chez les peuples indigènes pour lesquels la pratique de l’oralité est centrale. Il rappelle qu’il existe des formes de textualité riches et complexes pratiquées par des cultures non-scripturales en Amérique, en Afrique et ailleurs (Arnold et Yapita 2006 ; Finnegan 2007 ; Hill et Mignolo 1994). Par textualité, Uzedonski entend parler de pratiques multimodales reposant sur le chant, la musique, la danse, la narration, le rituel et d’autres activités humaines. Il s’agit alors de parler des « cultures orales » ce qui englobe les contes, les épopées, les mythes ou « textes oraux » et les rites dans leurs acceptions multiples : conte populaire et littérature orale (voir Goody 2014) pour lesquels nous essaierons d’examiner leur apport dans la transmission du savoir et du langagier au sein du cadre familial. Pourtant, on remarquera à la suite de Ndjavé (2013) que « la pratique du conte se perd dans les grandes villes au profit d’autres types de cultures (...), la prédominance de l’écrit des médias semble nettement établie : une perte de transmission du savoir d’héritage ou de la culture indigène faute de place accordé à l’oralité au sein de la famille ». Ainsi, l’ouvrage de Nicholas Evans (2012) « Ces mots qui meurent » documente les multiples facteurs qui participent de l’invisibilisation et de l’extinction des langues de tribus souvent imputables à l’exil forcé et à l’absence de transmission linguistique, comme dans le cas de la langue aborigène d’Australie, le kayardild.

Par ailleurs, le travail ethnographique et sociolinguistique conduit par Haque (2019) dans une famille hmong en France a montré à quel point la pratique cultuelle du chamanisme, accompagnée de longues récitations psalmodiées, a pu susciter chez l’aîné de l’intérêt et de l’attachement à la langue hmong et à sa communauté, avec lesquelles la fratrie semble avoir pris ses distances. De même, les prières en sanskrit, arabe, ourdou ou même en pendjabi dans des familles d’origine indienne en Europe ne sont pas sans effets quant à la constitution des répertoires verbaux des enfants au fait de ces pratiques religieuses (Haque 2012, Haque 2021). Les techniques d’apprentissage des textes sacrés comme celui du Coran dans les écoles coraniques, ou dans les yeshiva chez les juifs diffèrent peu : il s’agit de répéter mot à mot et de mémoriser du texte. De la même manière, dans les fratries, les enfants apprennent la langue des parents tant que la communication orale dans la langue du foyer est maintenue. Plusieurs études ont montré qu’en contexte migratoire stable, les parents s’adressent à leurs aînés dans leurs langues d’héritages : c’est grâce à ces discours oraux souvent constitués de différentes formes de parler bi-plurilingue (alternances codiques, changements de code, emprunts ; cf. Lüdi et Py 2003) et marqué par l’hétérogénéité, la non-uniformité, que l’enfant va acquérir les subtilités phonémiques des langues de ses parents (de même que des formes d'expression corporelle socialement et culturellement construites), même si la seule exposition à la langue dure peu de temps, la scolarisation arrivant vite. De plus, dans le milieu familial, la présence de la langue maternelle dès le plus jeune âge et les conversations familiales sont importantes pour « réussir » la politique linguistique familiale dans l’éducation des enfants bilingues (Vernon-Feagans, Bratsch-Hines et The Family Life Project Key Investigators, 2013 : 293).

Contexte scolaire dans lequel l’interaction verbale sera reléguée au second plan au profit de l’écriture puisque comme le souligne Langlois (2007), il y a un « déni de l’oralité » par l’institution ou par la culture scolaire. L’interaction verbale, autrement dit l’interaction directe, spontanée et crédible, nous apparaît comme l’un des axes centraux dans le domaine de la politique linguistique familiale : de nombreuses études (le cas des familles coréennes aux USA par Kang 2015) ont montré que la transmission linguistique n’est pas rompue quand les parents parlent leurs langues d’héritage. Ce qu’ont aussi montré les enquêtes menées au Pays de Galles auprès de parents monolingues gallois (Edwards et Newcombe 2005), ou bien au sein des familles immigrantes d’origine indienne en Norvège et en Finlande (Haque 2012). La gouvernance étatique dans le domaine de la langue (Eastman 1983) et la montée de la standardisation des langues (Joseph 1987) ainsi que la mobilité et la migration ont davantage entravé les pratiques des récits oraux dans la langue d’héritage.

Les textes proposés pourront porter sur les questionnements suivants :
• Comment appréhender le rôle de l’interaction verbale pour la transmission des langues d’héritage au sein de la famille ?
• Quelle place les familles issues de l’immigration accordent-elles à l’interaction verbale et comment celle-ci peut-elle être un instrument de préservation linguistique
• Pourquoi l’appropriation de la langue de la famille à laquelle l’enfant a été exposé peut- elle, dans certains cas, ne pas se produire ?
• Comment le déclin dans la transmission linguistique verbale a-t-elle un impact sur les langues parentales et quelles autres langues ont pris la place dans les répertoires verbaux
des enfants grandis dans un contexte migratoire ?

Nous souhaitons proposer un examen critique de la contribution de l’interaction verbale à la lumière des réflexions et des débats relevant d’une optique sociolinguistique, mais aussi propre à la communauté scientifique interdisciplinaire afin de mieux saisir une approche holistique sur son apport.

Modalités de soumission
Les propositions, en français ou en anglais accompagnées d’un bref curriculum vitae, devront être envoyées à l’adresse symposiumplf[at]gmail.com

Comité scientifique
Ashraf Abdelhay, Doha Institute of Graduate Studies
Michelle Auzanneau, Université Paris-Descartes
Sophie Babault, Université de Lille
Philippe Blanchet, Université Rennes 2
James Costa, Université Paris
Paulin Djite, Université Félix Houphouët-Boigny
Gilles Forlot, Inalco
John E Joseph, University of Edinburgh
Kendall King University of Minnesota
Isabelle Léglise, CNRS / SeDYL
Tommaso Milani, University of Gothenburg
Miguel Pérez Milans, University College London
Danièle Moore, Université Simon Fraser
Sari Pietikäinen, University of Jyväskylä
Brigitte Rasoloniaina, Inalco
Thomas Szende, Inalco
Cyril Trimaille, Université Grenoble-Alpes
Li Wei, University College London

Calendrier
Date limite de réception des articles : 15 octobre 2022
Notification de décision : 15 janvier 2023
Retours aux contributeurs.ices : 15 mars 2023
Publication prévue : octobre 2023

Direction de l’ouvrage
Shahzaman Haque, Inalco, France
Françoise Le Lièvre, Université Catholique de l’Ouest, France

Appel à contributions ouvrage collectif "Politique linguistique familiale : interaction verbale et transmission linguistique" (212.31 Ko, .pdf)