Prochaine séance du séminaire Théories et données linguistiques

2 mars 2023
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Intervenants : Letizia Volpini, Christine Bonnot & Sophie Vassilaki.
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Théories et données linguistiques © A. Donabédian‎
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Date : Vendredi 10 mars 2023 - 14:30 - 17:30
Lieu : Inalco, Pôle des Langues et des Civilisations, 65 rue des Grands Moulins, salle 3.15

Letizia Volpini
INaLCO, Master 2, SDL


Sujet, détermination, ordre des mots : un cas particulier étudié en grec moderne et en italienL’exposé portera sur les relations entre détermination, ordre des mots et sujet et présentera l’avancement des travaux de recherche pour mon mémoire de Master II.
Il s’agira plus précisément d’étudier le sujet en début de phrase – ou du moins pré-verbal – non déterminé, en grec moderne et en italien.
On sait que les systèmes de détermination du grec moderne et de l’italien présentent des différences significatives (Giannoulopoulou 2016, Holton et al. 2012, Renzi et al. 1988, Stark 2008, Tsamadou-Jacoberger 1998). D’un autre côté, dans les deux langues, l’expression du sujet n’est pas obligatoire et, dans les cas où le sujet est exprimé, il n’est pas nécessairement préposé au verbe ; le sujet préverbal est en effet le plus souvent déterminé, les sujets non déterminés se trouvant généralement après le verbe.
Toutefois, il est possible de trouver dans les deux langues des phrases avec un sujet préverbal sans déterminant, phrases tout à fait grammaticales et à leur place dans un contexte donné.
Il s’agit d’un phénomène considéré comme plus ou moins « marginal », ayant une fréquence d’apparition différente dans les deux langues et surtout une distribution qui est loin d’être homogène d’un type de texte à l’autre ainsi qu’à l’intérieur d’un même texte. Le sujet préverbal non déterminé doit donc trouver sa raison d’être dans le rôle joué par ces phrases dans les textes à l’intérieur desquels elles apparaissent, phénomène à analyser notamment en relation avec les spécificités des différents genres textuels.
 

Christine Bonnot & Sophie Vassilaki
INaLCO, UMR8202, SeDyL, CNRS, IRD135

Entre syntaxe et discours : les constructions pseudo-coordonnées en russe et en grec moderne L’exposé portera sur le fonctionnement en russe (R) et en grec moderne (GM) de structures <V1 relateur V2> où deux verbes unis par un relateur (R : I, GM : KE) ayant le double statut de conjonction de coordination (« et ») et de marqueur discursif (valeurs communes : « aussi », « même », « justement », « d’ailleurs », etc.) désignent un procès unique, le V1 perdant son autonomie et ses expansions pour venir spécifier ou infléchir l’interprétation du V2. Cf. (1) et (2) :

(1) R :  [Début d’un post Internet réagissant à un article de conseils aux webdesigners]
Kogda vižu i čitaju takie stat’i, vot sižu i dumaju xot’ komu-to èto prinosit pol’zu?Quand je vois et que je lis de tels articles, je me demande vraiment [litt. ‘voilà suis-assis I pense’] s’il y a des gens à qui ça apporte quelque chose ?

(2) GM : [Fil twitter : il s’agit de critiquer une justice aux ordres]
Ti kaθonde ke kanun erevnes, anakrisis, ðikoɣrafies, su’pa, mu’pes ? Jiati ðen kanun ena pol sto tuiter pçon na silavun, na telionume ?
Pourquoi est-ce qu’ils s’obstinent à faire [litt. ‘(ils) sont-assis KE font’] des enquêtes, des interrogatoires, des dossiers d’instruction, et tout le tintouin ? Pourquoi ne pas faire un simple sondage Twitter : « qui arrêter ? », et qu’on n’en parle plus ?

En (1) et (2), les V1 « être assis/s’asseoir » ne désignent pas une posture physique concrète, ici non pertinente, mais annoncent une opposition entre deux points de vue. En (1), le V1 sižu (litt. ‘suis-assis’) indique que le V2 dumaju ne doit pas s’interpréter avec la valeur processuelle (« réfléchis ») qu’il a normalement quand il régit une interrogative indirecte, mais introduit une question rhétorique remettant en cause l’utilité de l’article présupposée par sa publication. En (2), le V1 kaθonde [litt. ‘sont-assis’] souligne au contraire la valeur processuelle du V2, mais sert aussi à faire interpréter l’interrogative directe comme une question rhétorique remettant en cause l’utilité d’une procédure longue et complexe dont l’issue est connue d’avance, d’où l’analogie avec la « Twittosphère » et les ‘twitter polls’ (GM : pol).
De telles constructions, dites « pseudo-coordonnées », sont attestées dans des langues de familles et aires linguistiques diverses et généralement vues comme intermédiaires entre coordination et subordination [Ross 2016]. Le cadre privilégié pour les aborder est celui de la grammaticalisation : privé de ses arguments et pris dans sa relation avec le V2, le V1 se viderait de sa substance lexicale pour se transformer en simple marqueur grammatical de catégories aspectuelles ou modales telles que « progressif/duratif » [Kuteva 1999 à propos des V1 de posture statique « être debout/assis/couché »], « intentionnalité » [Svorou 2018 à propos des V1 de mouvement en grec moderne] ou « miratif » [Weiss 2022, à propos du V1 russe vzjat’ « prendre »]. 
Nous essaierons de montrer que ces constructions constituent en fait des moules permettant de former des syntagmes au statut hybride, à la fois partiellement lexicalisés et étroitement dépendant des déterminations contextuelles, et que leur sens, souvent opaque pour les locuteurs non natifs, se construit dans le discours selon des principes communs réguliers reposant sur un même mécanisme énonciatif.
Nous appuierons notre analyse sur des exemples illustrant le fonctionnement de deux types de V1 comparables dans les deux langues :
verbes de posture statiques et dynamiques : « être assis » / s’asseoir », « être debout » / « se lever ». La comparaison des deux langues montre que les représentations respectivement associées aux postures assise et debout y sont largement similaires ;
verbes de préhension : R : brat’ipf/vzjat’pf « prendre » ; GM : piano « saisir, attraper ». Les divergences sont ici plus importantes, ce que nous attribuons au fait que les deux verbes focalisent deux phases différentes d’un geste de préhension, initiale pour le russe, finale pour le grec. 
 
Références :
Bonnot, Ch. et Vassilaki, S. (2017) « Variation catégorielle et polysémie : comparaison des conjonctions de coordination / marqueurs discursifs I (russe) et KE (grec moderne) ». In D. Paillard (Ed), Comparaison des marqueurs discursifs, Langages 207, p. 65-78.
Bonnot, Ch. et Vassilaki, S. (2021) « Entre phraséologie et conditionnement contextuel : le cas des constructions pseudo-coordonnées en russe et en grec moderne ». In G. Dostie & D. Sikora (Eds), Les phraséologismes pragmatiques. Préfabrication et lexiculture, Lexique, 29, p. 191-209.
Bonnot, Ch. et Vassilaki, S. (2022) « Les constructions pseudo-coordonnées en russe et en grec moderne : énonciation, dynamique des forces et gestes mentaux », communication au 1er Colloque international de la TOPÉ, Université de Tours, 23-24 juin 2002.
Kuteva, T., (1999), « On « sit » / « stand »/ « lie »/ auxiliation », Linguistics, vol. 32, 2, Mouton de Gruyter, Berlin, p. 191-213.
Ross, D. (2016). Between coordination and subordination: Typological, structural and diachronic perspectives on pseudo-coordination. In F. Pratas, S. Pereira & C. Pinto (Eds.), Coordination and subordination: Form and meaning, Cambridge Scholars Publishing, p. 209-243.
Svorou S. (2018) « Motion Verb Integration and Core Cosubordination in Modern Greek. In R. Kailuweit, L. Künkel, E. Standinger (Eds), Applying and Expanding Role and Reference Grammar, p. 281-304.
Weiss, D. (2022), “Mirative ‘take and do’ constructions in Russian. The impact of negation”, Lifetime linguistic inspirations: To Igor Mel’čuk from colleagues and friends for his 90th birthday. Wiener Slawistischer Almanach, Sonderband 101, p. 443-453.