Accompagnement de l’enseignement des langues dans les dispositifs hybrides, en présentiel, à distance : du tutorat à l’enseignement ?

La filière Didactique des langues (DDL) de l’Inalco est un lieu privilégié pour appréhender les enjeux du numérique pour l’enseignement et l’apprentissage d’une langue dite étrangère en raison de la variété des dispositifs et des perspectives enrichissantes qui s’offrent aux étudiants comme aux enseignants. S’agissant d’apprentissage des langues, l’éventail des ressources et des dispositifs de l’Inalco est en effet très large. Il s’étend du présentiel dit enrichi (le numérique en complément d’un cours), aux formations hybrides (entre présence et distance) et à l’enseignement dit totalement à distance, tel qu’il a été imposé de manière brusque par la crise sanitaire et dont les MOOC de premier contact en langues et de langues et cultures autochtones font partie.
TutoratEnLigne - Crédits -EduGestion
TutoratEnLigne - Crédits -EduGestion © DR‎

Tous ces lieux « virtuels » ou « réels » de rencontre entre apprenants, pairs, mentors, tuteurs ou enseignants et dans lesquels les technologies sont placées au service de l’enseignement des langues mettent en jeu des ressources et des échanges selon un mode de régulation qui est à la fois propre à chaque contexte et aux usages du numérique. Pour la filière didactique des langues, l’enseignement des langues soutenu par les usages du numérique offre de magnifiques occasions de réflexion sur le travail et l’appropriation, qu’il s’agisse d’apprenants, de futurs enseignants, de tuteurs ou d’enseignants.
 
Enseignant, tuteur, mentor, pair et apprenant : une question terminologique révélatrice des enjeux du numérique pour l’enseignement des langues 
 
Il est difficile d’aborder les enjeux que pose le numérique sans envisager les glissements de sens concernant le rôle de l’enseignant en tant que facilitateur des apprentissages. Cette évolution semble ainsi aller de pair avec l’évolution des usages des technologies. Enseignement ou tutorat, comment se définissent ou s’articulent ces rôles ?
 
En contexte universitaire formel et en présentiel, le tutorat est parfois considéré comme un accompagnement universitaire et moral d’un étudiant en difficulté. Le tuteur a ainsi un rôle de conseil et de suivi. Notons cependant qu’on trouve le terme d’enseignant dans certaines définitions du tuteur qui est alors considéré comme un enseignant qui suit un étudiant. Le tutorat apparaît donc comme un moyen de répondre aux besoins de l’individualisation des formations en apportant des réponses précises dans le cadre d’un enseignement sur mesure. L’accompagnement ou plutôt le manque d’accompagnement reste le maître mot qui creuse l’écart entre tutorat et enseignement. Pourtant comme le remarque ce tuteur, ces rôles sont loin d’être aussi distincts : 

“Le tuteur a les rôles « d'accompagnant, de facilitateur, d'instructeur, d'évaluateur » (Denis, 2003 : 21), qui sont également des qualités requises lorsqu'on est enseignant de langue.
Je ne sais pas exactement à quoi correspond « un tuteur » :  les corriger, leur donner des astuces ou faire tout autre chose.”

Brumelot Hoppe - Le Tutorat en entreprise - Dessin de Ucciani
Le Tutorat en entreprise - Ucciani - https://www.ucciani-dessins.com/ © DR‎

Dans les formations à distance, il existe plusieurs formes de tutorat selon que les modalités d’accompagnement se font sous forme de communication écrite, orale ou vidéo. A distance, le tuteur assure un rôle de conseil et de suivi afin d’accompagner et de soutenir les apprenants à rester engagés tout au long de leur formation. En effet, les difficultés que peuvent éprouver des apprenants à maintenir leur motivation dans une formation à distance n’est pas un phénomène nouveau, problème de manque de présence à distance qui a par ailleurs été souvent souligné lors du passage à distance pendant la crise sanitaire. En l’absence de tuteur, c’est donc d’une certaine manière à l’enseignant qu’il revient de combler ce manque. On peut de plus noter que l’une des spécificités du tutorat à distance vient du fait qu’il existe une dissociation temporelle (et spatiale) entre le tuteur et l’apprenant, rôle qu’il n’est pas toujours aisé à appréhender :

“J'imaginais mon rôle à venir comme celui d'un enseignant qui serait disponible pour répondre aux questions des étudiants, les guider dans les méandres de Moodle, corriger leurs productions, leur proposer des renvois vers des outils numériques... Ce qu'aurait fait, en fait, un enseignant qui enseigne en présentiel. Cependant, après la prise en charge, je comparerais mon rôle plutôt à celui d'un animateur, qualifié dans son domaine de prise de fonction.”
 
Dans la formation à distance, ce sont les médias interactifs qui vont véritablement structurer et faire évoluer le rôle du tuteur auprès des apprenants, le rendre plus précis et permanent comme l’indique cet autre retour d’expérience d’une tutrice dans un dispositif à distance :
“Mon activité de tutorat consistait d’abord à orienter les participants quant au fonctionnement de la plateforme (comment ça marche, différents outils en ligne à utiliser…) et puis à répondre à leurs interrogations sur le fil de la discussion, autour du défi de la semaine, des tâches à réaliser, des délais à respecter, des modalités d’évaluation… Mais également à réguler les conversations entre participants, et à apporter des éléments de correction aux productions aussi bien écrites qu’orales, qu’ils postaient sur la plateforme.” Répondre aux interrogations soutient les activités d’apprentissage du scénario pédagogique : 
 
Figure 1: échange entre tuteur et apprenant au sein d'un MOOC

Brumelot Hoppe - Figure 1 - échange entre tuteur et apprenant au sein d'un MOOC
Brumelot Hoppe - Figure 1 - échange entre tuteur et apprenant au sein d'un MOOC © Inalco‎

Quelle différence peut-on faire entre tuteur et mentor ? On peut commencer par établir une distinction entre mentor et apprenant. Ce qui distingue le mentor de l’apprenant, c’est le degré d’expertise, le mentor serait alors davantage considéré comme un expert et l’apprenant comme un novice. Cette relation entre novice et expert n’est pas sans rappeler que les apprentissages complexes se font nécessairement en collaboration avec autrui et cela même lorsque le tuteur compare son rôle à celui “d'un animateur, qualifié dans son domaine de prise de fonction”.
 
Que l’on désigne l’accompagnement par les termes de tutorat ou de mentorat, l’objectif semble donc le même, celui d’aider un apprenant à résoudre des problèmes et de faciliter ses apprentissages. C’est donc plutôt d’un point de vue relationnel que la distinction se précise, le mentor gardant une position d’expert accompagnateur tandis qu’un tuteur garde le rôle de facilitateur de l’apprentissage. S’il apparaît si complexe de différencier ce qui relève des interventions du tuteur ou du mentor, c’est sans doute parce que ce rôle varie selon les contextes, les situations de cours, selon les besoins institutionnels et ceux révélés par les dispositifs en eux-mêmes et enfin selon la conception pédagogique sur laquelle reposent ces derniers.
 
Plus largement, dans le domaine de l’enseignement des langues, certaines pratiques sont de la responsabilité de tuteurs considérés comme plus compétents et qui vont animer des séances ou ateliers de conversation. On retrouve dans cette pratique le tuteur expert en langue, une sorte de mentor finalement qui favorise l’enrichissement langagier de l’apprenant qu’il soutient. 
 
La diversité des interventions du tuteur variera donc en fonction des apprentissages mis en œuvre selon que ces interventions sont résolument ouvertes, expertes, orchestrées de manière collaborative ou initialement structurées par le concepteur du cours. Le système hiérarchique dans lequel s’inscrit la mise en place du tutorat joue aussi un rôle important dans l’accompagnement du tutorat. Au niveau institutionnel, l’apprentissage est de type formel et l’enseignement peut en conséquence imposer une structure plus ou moins rigide qui instaure une relation pédagogique très hiérarchique entre l’administration, l’enseignant, l’enseignant-concepteur, le tuteur et les apprenants. 
 
Tuteur, mentor, pair ?
 
Selon l’approche pédagogique retenue, la dimension collaborative et ouverte du contexte des apprentissages est donc celle qui va en réalité déterminer les rôles du tuteur, du mentor ou du pair et de fait la nature même des interventions et des échanges. Dans l’échange qui suit, un participant rappelle à ses pairs les consignes auparavant suggérées par la tutrice pour répondre à une tâche :
 
Figure 2 :  intervention de la tutrice dans les échanges asynchrones au sein d'un MOOC

Brumelot Hoppe - Figure 2 - intervention de la tutrice dans les échanges asynchrones au sein d'un MOOC
Brumelot Hoppe - Figure 2 - intervention de la tutrice dans les échanges asynchrones au sein d'un MOOC © Inalco‎

C’est donc la nature même des échanges qui guide aussi en quelque sorte la manière dont s’organisent les interventions du tuteur, du mentor, des pairs et des apprenants, dirigeant leur attention vers les problèmes posés par les contenus d’enseignement :
 
Figure 3 : rôle du mentor dans les échanges au sein d'un MOOC

Brumelot Hoppe - Figure 3 - rôle du mentor dans les échanges au sein d'un MOOC
Brumelot Hoppe - Figure 3 - rôle du mentor dans les échanges au sein d'un MOOC © Inalco‎

Rediriger l’attention fournit ici la possibilité de passer dans la collaboration à l’aide du tuteur, mentor ou pair à un niveau supérieur de l’apprentissage. Pour les pairs ou les apprenants, cette collaboration est le moyen d’identifier ce qu’ils savent faire et ne savent pas faire. Les réponses en cascade des apprenants indiquent dans cet échange asynchrone que le message posté répond aux besoins de certains d’entre eux :
 
Figure 4 : réponses en cascade des apprenants au sein d'un MOOC

Brumelot Hoppe - Figure 4 - réponses en cascade des apprenants au sein d'un MOOC
Brumelot Hoppe - Figure 4 - réponses en cascade des apprenants au sein d'un MOOC © Inalco‎

On peut distinguer dans la nature même de ces échanges, l’importance cruciale accordée au fait de signaler aux autres une partie des caractéristiques déterminantes du système d’énumération en langue chinoise. Ce dialogue permet de maintenir l’orientation des apprentissages et de contrôler la frustration des apprenants. Ainsi dans une situation d’apprentissage, l’activité en même temps qu’elle « s’intériorise », se réorganise. L’accompagnement et plus largement le langage social en contexte prennent ainsi la forme d’un dialogue qui se répartit entre l’ensemble des acteurs, langage pour soi puis langage intérieur, effaçant en quelque sorte une attribution verticale des tâches et responsabilités de l’enseignement. Mais ce qui semble surtout important à souligner ici c’est le rôle capital que jouent tout autant l’enseignement dans la médiation et l’interaction de tutelle dans la résolution des problèmes. Finalement, que l’on désigne l’enseignant, le tuteur, le mentor ou le pair comme fournisseur d’une aide à travers le discours ou la communication, ce qui compte avant toute chose c’est le système de support qui permettra aux apprenants de résoudre des problèmes qu’ils ne peuvent accomplir seuls.
Les tâches et les responsabilités de l’enseignant, du tuteur, du mentor ou des pairs peuvent donc consister de manière égale à faciliter l’apprentissage et à le guider sur la bonne voie.  
 
Comprendre le sens des interventions : accompagner, simplifier, réduire le nombre d’actions requises pour identifier des solutions
 
D’une part, comprendre le sens des interventions et de ses effets semble donc être l’élément le plus déterminant pour aborder les enjeux du numérique pour l’enseignement-apprentissage des langues. D’autre part, comme l’indiquent les bilans de tuteurs et tutrices, mettre en pratique des interventions au sein de différents types de dispositifs dans le but de mieux comprendre la manière dont se structure l’accompagnement est véritablement essentiel pour la formation des futurs enseignants :
 
S. Le suivi d’un Mooc en tant que tutrice représente pour moi une expérience d’enseignement dans le sens où j’ai appris qu’on peut très bien « enseigner », guider et orienter les apprenants à l’aide d’outils en ligne et que l’interaction, certes indispensables au processus d’enseignement-apprentissage, peut avoir lieu même dans un cadre virtuel ; il suffit d’être assez passionné, engagé et curieux pour consacrer temps et efforts à explorer un sujet ou à acquérir une habileté.

R. Il est compliqué de mettre en place une véritable relation pédagogique étudiants/tuteurs. En effet, susciter la motivation des étudiants qui restent pour la plupart assez peu réactifs aux messages envoyés paraît parfois impossible.

D. La recherche d'un certain équilibre proximité/distance dans notre rapport en tant que tuteurs aux apprenants n'est pas évidente.
 
L. Il nous a semblé que notre rôle serait de guider, orienter et répondre aux questions de l'étudiant, le tout, avec un regard bienveillant.
 
 
En résumé, dans une optique de formation, que l’on soit tuteur, mentor, pair ou enseignant, toute expérience d’accompagnement est un travail formateur qui contribue à développer son propre questionnement sur son activité, à réfléchir à ses pratiques, à construire des connaissances sur des contenus pédagogiques et sur les différents rôles et fonctions de l’enseignant d’une langue dite étrangère dans la classe. On se situe donc bien, quels que soient les rôles, dans une approche de l’apprentissage située autour de la participation aux activités au sein d’une communauté de pratique. C’est une manière essentielle pour le domaine de la formation de futurs enseignants d’appréhender l’enseignement et l’apprentissage des langues dites étrangères aujourd’hui à travers des processus de participation, d’engagement varié mais actif, de négociation de sens entre différents acteurs, enseignants, pairs, tuteurs, mentors, apprenants, etc. et plus largement au sein d’interactions sociales au sein de communautés de pratiques.
 
 
Catherine BRUMELOT, enseignante FLE & Didactique des langues - Responsable Inal'FLE, Inalco. Aattachée à l'équipe Plidam.
et
Christelle HOPPE, associée de Plidam & chargée de cours de la filière DDL, Inalco – enseignante de FLE à l’université de Nantes.
 
 
Références
 
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URL : http://journals.openedition.org/dms/1881
DOI : https://doi.org/10.4000/dms.1881
 
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URL : http://journals.openedition.org/apliut/5168

DOI : https://doi.org/10.4000/apliut.5168
 
Mangenot, F. (2014). Formation en ligne et Mooc : apprendre et se former en langue avec le numérique. Hachette FLE. Coll. F.
 
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Rivens Mompean, A. & Eisenbeis, M. (2009).  Autoformation en langues : quel guidage pour l’autonomisation ?, dans Les Cahiers de l’Acedle, 6(1), 221-244.

Quintin, J.J. (2008). « Accompagnement d’une formation asynchrone en groupe restreint : modalités d’intervention et modèles de tutorat », dans Sciences et Technologies de l'Information et de la Communication pour l'Éducation et la Formation, volume 15, 2008. ÉPAL : Échanger Pour Apprendre en Ligne. pp. 89-123.