La création d’un kamishibaï plurilingue et pluriculturel : une valorisation de la diversité à l’école

« Le monde était en train de changer plus vite que je ne l’avais imaginé. » Cette citation de Tom Tirabosco dans Wonderland (2015), choisie comme thème dans le cadre du concours Kamilala, a introduit un projet au sein d’une UPE2A d’une école élémentaire parisienne : la création d’un kamishibaï en plusieurs langues.
Barbara FALLON - création d'un kamishibai plurilingue et pluriculturel - en-tête
Barbara FALLON - création d'un kamishibai plurilingue et pluriculturel - en-tête © Inalco‎

Un projet de ce type en classe peut faciliter l’acquisition de compétences multiples. Dans cette Unité spéciale accueillant des enfants nouvellement arrivés en France (UPE2A[1]), l’élaboration de ce kamishibaï[2] avait notamment trois objectifs principaux : faire en sorte que les enfants participent à un concours, développer plusieurs compétences écrites et orales essentielles pour les apprenants, et valoriser la diversité des langues et cultures à l’école en l’exploitant. En tant qu’étudiante au sein du Master Didactique des langues de l’Inalco, j’ai pu intégrer cette expérience plurilingue et pluriculturelle par le biais d’un stage en école élémentaire.
 

Barbara FALLON - création d'un kamishibai plurilingue et pluriculturel - Couverture
Fig.1. Couverture du kamishibaÏ « Quels problèmes ? ». Photo de Barbara Fallon. Paris. 2021. © Inalco‎

Participation à un concours
 
La participation au concours « Kamilala » (2020-2021)  de l’association DULALA[3] dans le cadre d’un projet en classe a été une véritable source de motivation chez les 19 apprenants, les 2 enseignantes, l’enseignante-stagiaire et les parents d’élèves. Ce concours a pour objectif la création d’un kamishibaï plurilingue : un système de narration issu de l’art japonais correspondant à un ensemble de planches illustrées, lues au sein d’un petit théâtre.

Fig. 2. Photo de la lecture du kamishibaï « Quels problèmes ? » lors du concours Kamilala 2021. Crédit : D'Une Langue A L'Autre (DULALA). URL : https://dulala.fr. Paris. 2021.
Fig. 2. Photo de la lecture du kamishibaï « Quels problèmes ? » lors du concours Kamilala 2021. Crédit : D'Une Langue A L'Autre (DULALA). URL : https://dulala.fr. Paris. 2021. © DR‎

Fig. 2. Photo de la lecture du kamishibaï « Quels problèmes ? » lors du concours Kamilala 2021. Crédit : D'Une Langue A L'Autre (DULALA). URL : https://dulala.fr. Paris. 2021. 
 
Dans cette Unité Pédagogique pour Élèves Allophones Arrivants (UPE2A), la production a été menée en 3 semaines. La première semaine a été consacrée à l’explicitation du projet aux enfants, au choix collectif du thème, des personnages, du titre, etc. Inspirés par la phrase de Tom Tirabosco, les enfants ont raconté une histoire intitulée « Quels problèmes ? » avec comme objectif de dénoncer la disparition de plusieurs espèces d’animaux sur la planète.

Fallon_Tableau
Fallon_Tableau © Inalco‎

Puis, pendant la deuxième et troisième semaine, le travail s’est axé sur la création des illustrations avec l’aide de la professeure d’arts plastiques de l’école. Les enfants ont ainsi utilisé plusieurs techniques artistiques : fond, calque, découpage, peinture, etc. afin de créer les neuf planches qui composent l’histoire.

Fallon - Fig. 3. Photo de la préparation des planches du kamishibaï en classe. Photo de Barbara Fallon. Paris. 2021.
Fallon - Fig. 3. Photo de la préparation des planches du kamishibaï en classe. Photo de Barbara Fallon. Paris. 2021. © Inalco‎

Fig. 3. Photo de la préparation des planches du kamishibaï en classe. Photo de Barbara Fallon. Paris. 2021. 

Aussi, durant ces deux semaines, comme nous allons le voir ci-dessous, les apprenants ont écrit l’histoire en utilisant et développant leurs compétences en langue française. Et, ces enfants issus de plusieurs pays, ont également pu exploiter et partager leurs langues et cultures d’origines.
 
Ce concours alliant la création artistique et la diversité linguistique et culturelle a été une véritable source de motivation pour les participants. Il a permis d’élaborer un cadre de travail, un espace collaboratif, amenant créativité et expression, afin d’atteindre un même objectif : présenter un kamishibaï plurilingue et pluriculturel de qualité au concours Kamilala. Parallèlement, le développement de plusieurs compétences, inhérentes à ce projet, a été effectué.
 
Développer des compétences essentielles
 
Au-delà de l’aspect artistique, la création de cette histoire a permis de travailler d’autres compétences essentielles, cohérentes avec celles des programmes nationaux de l’école élémentaire (2020), ainsi que celles du cadre européen de référence pour les langues (CECRL - 2001).
Des compétences d’expression et de compréhension orales en français ont été développées grâces aux dialogues pendant l’élaboration de l’histoire, que ce soit quand il a fallu choisir le thème, les personnages ou quand il a fallu choisir quelles langues et cultures mettre en avant dans cet ouvrage. Parallèlement, des compétences d’expression et compréhension écrites ont été travaillées au travers de l’écriture individuelle et collective du texte. Enfin, la compétence de lecture a également été développée car les élèves ont pu lire leur kamishibaï dans les classes. Cette dernière initiative a diffusé le projet dans toute l’école, donné l’envie à d’autres classes de tenter l’expérience et, valorisé le travail de ces élèves d’UPE2A. De plus, une vidéo a été faite pour une présentation lue de ce kamishibaï au concours.

Le kamisibaï « Quels problèmes ? », narré par les enfants de la classe
Le kamisibaï « Quels problèmes ? », narré par les enfants de la classe © DR‎

Le kamisibaï « Quels problèmes ? », narré par les enfants de la classe : https://www.youtube.com/watch?v=ZmIxVAGuyb0&t=1s. (Crédit : chaine YouTube de DULALA - D’une Langue A l’Autre. 2021.)
 
Le travail sur la langue française était par conséquent enrichissant au niveau de la réception (écrite, orale), de la production (écrite, orale), et de l’interaction. Parallèlement, la médiation a aussi été mise au centre des apprentissages, notamment au travers d’exercices utilisant plusieurs langues et cultures (CECRL, 2001). En effet, les langues et cultures des enfants ont été utilisés dans plusieurs activités, afin qu’ils soient acteurs et apportent leurs savoirs.
 
Ce projet artistique rentre dans le champ de la didactique du plurilinguisme et du pluriculturalisme ; approche notamment insufflée par le Cadre européen commun de référence pour les langues depuis 2001. Elle correspond à l’utilisation de plusieurs langues et cultures dans les pratiques didactiques et pédagogiques des enseignants. La création de cette histoire a par conséquent permis de développer une compétence plurilingue et pluriculturelle (Costes, Moore, Zarate, 1997) chez les élèves et les enseignants. Plusieurs activités de comparaisons linguistiques ont par exemple été effectuées :

Fig. 4. Photo d’une activité de comparaisons linguistiques en classe, préalablement préparée avec les parents, pour créer le texte plurilingue du kamishibaï. Photo Barbara Fallon. Paris. 2021.
Fig. 4. Photo d’une activité de comparaisons linguistiques en classe, préalablement préparée avec les parents, pour créer le texte plurilingue du kamishibaï. Photo Barbara Fallon. Paris. 2021. © Inalco‎

Ici, les apprenants devaient apporter les traductions : comment dit-on « le monde » en soninké, en roumain, comment dit-on « l’abeille » en russe, en khmer, etc. Ces exercices, faits à plusieurs reprises lors du procédé de création du texte plurilingue, ont amené des comparaisons orthographiques, phonétiques, alphabétiques, etc. Ce type d’activités a pour objectif d’utiliser le répertoire linguistique et culturel d’un enfant, mais également de le confronter à celui des autres enfants. Une conscience métalinguistique a été travaillée : le but de celle-ci est que l’enfant doit être capable de transférer des savoirs et des savoir-faire dans plusieurs langues et de développer plusieurs schémas de systèmes linguistiques (Castellotti, Moore, 2005). En plus d’une ouverture à la diversité, le fait d’avoir conscience du fonctionnement de certains systèmes linguistiques pourrait permettre à l’apprenant de mieux maitriser les langues étrangères (Candelier, 2007).
 
Ce kamishibaï plurilingue et pluriculturel a ainsi permis de développer de multiples savoirs, savoir-faire, savoir-être et savoir-apprendre mais a aussi mis en valeur les langues et cultures premières des apprenants dans l’école.
 
Valoriser la diversité linguistique et culturelle
 
Conjointement à un projet d’école qui développe les compétences détaillées précédemment, cette création a ouvert plusieurs enfants et adultes à la diversité linguistique et culturelle qui les entourait. Cette histoire interculturelle, composée de treize langues différentes (khmer, chinois, tamoul, hindi, vietnamien, anglais, portugais, espagnol, soninké, arabe, roumain, russe et français), a remis en question les représentations monolingues et monoculturelles, qu’insuffle parfois l’école française. En effet, la survalorisation du français et de la culture française comme langue et culture unique, est encore très présente dans les discours, représentations et pratiques, au détriment d’une valorisation de la diversité linguistique et culturelle inhérente à notre environnement (Castellotti, 2008). Ce système engendre alors des problèmes d’intégration et d’insécurité linguistique et culturelle chez certains apprenants.  
 
Au-delà de l’aspect écologique de l’histoire créée par les enfants, c’est un sujet qui rallie plusieurs cultures, pays, continents, incarnés par des animaux. La création de cette histoire a produit des dialogues, des débats qui ont fait découvrir d’autres cultures, d’autres idéaux, aux enfants, parents et aux enseignants. Certaines représentations ont été interrogées, comme par exemple la place de la langue première (des langues premières) des enfants à l’école. Ce projet pluri-acteurs (enseignants, enfants, parents) a en effet impacté et légitimé, à l’échelle de cette école, l’utilisation de ces langues et cultures étrangères lors d’activités. Certains enfants se sont sentis alors « libérés » de parler de leurs pays et langues d’origines. Par exemple, un enfant parlant soninké, ne voulait pas intégrer sa langue première au sein du projet. Ce refus incarne l’idée que les langues et cultures premières des élèves, autre que la langue et culture française, n’ont pas leur place au sein de l’école française. Mais, l’argumentation amenée par les enseignants, l’approbation des parents et les activités autour de ce kamishibaï ont alors libéré la parole de cet enfant.
 
En outre, cette création a été valorisée de manière inédite car elle a été primée par l’association DULALA : ce kamishibaï a reçu le premier prix 2020-2021 de la catégorie 6-10 ans lors de la 6e cérémonie de remise des prix à la Maison du Japon de Paris.

Fig. 5. Photo de la remise des prix du concours Kamilala à la Maison de la culture du Japon.
Fig. 5. Photo de la remise des prix du concours Kamilala à la Maison de la culture du Japon. © DR‎

Crédit : D'Une Langue A L'Autre (DULALA). URL : https://dulala.fr. Paris. 2021. 

Ce kamishibaï « Quels problèmes ? » a alors été une source de motivation dans les apprentissages, de développement de compétences essentielles et de remises en question de certaines représentations sur la diversité linguistique et culturelle en classe. La remise des prix a été perçue à la fois par l’école, l’association, et le CASNAV de Paris, comme une forme de reconnaissance. Et, elle a amené un véritable engouement autour de ce type d’expérience plurilingue et pluriculturelle dans cette école élémentaire. Un tel projet ludique a apporté beaucoup de fierté à ses participants et pérennise ainsi ces réflexions sur la diversité linguistique et culturelle à ses futurs lecteurs.
 
Un grand bravo à tous les élèves d’UPE2A de l’école élémentaire, ainsi qu’aux deux enseignantes avec lesquelles nous avons travaillé : Christine Pozzobon (enseignante UPE2A), et Valérie Boccanfuso (professeure d’arts plastiques). Et, merci à DULALA d’avoir valorisé ce kamishibaï, en le primant lors de la 6e cérémonie du concours « Kamilala » (2020-2021). 
 
Vous pouvez consulter l’histoire « Quels problèmes ? » narrée avec le kamishibaï en suivant ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=ZmIxVAGuyb0&t=1s. (Crédit : chaine YouTube de DULALA - D’une Langue A l’Autre. 2021.)
 
Barbara Fallon, Master 2 Didactique des langues
Ce projet a été réalisé dans le cadre d’un stage pour l’obtention du Master Didactique des Langues de l’Inalco (2021)
 


Bibliographie
Candelier, M. 2007. « Éveil aux langues, formation plurilingue et enseignement du français ». Dans Synergie Monde. p. 67-76.
 
Castellotti, V. 2008. « Au-delà du bilinguisme : quelle place en France pour une éducation plurilingue ? ». Dans Budach, G. Erfurt, J. et Kunkel, M., Écoles plurilingues – Multilingual schools : Konzepte, Institutionenen und Akteure. Frankfurt : Peter Lang. p. 169-189.
 
Castellotti, V. et Moore, D. 2005. « Répertoires pluriels, culture métalinguistique et usages d’appropriation ». Dans Beacco, J. Chiss, J. Cicurel, F. et Véronique, D. Les cultures éducatives et linguistiques dans l'enseignement des langues. Paris : PUF, 107-132.
 
Conseil de l’Europe. 2001. Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Paris : Didier.
 
Coste, D. Moore, D. et Zarate, G. 1997 (réédition 2009). « Compétence plurilingue et pluriculturelle ». Strasbourg : Conseil de l’Europe.
 
Dulala – Kamilala, consulté le 26/12/2021. URL : https://kamilala.org/partner/dulala
 
Dulala, consulté le 26/12/2021. URL : https://dulala.fr
 
Fallon, B. 2021. « La place d’une perspective plurilingue et pluriculturelle dans le système éducatif français : le cas d’une école élémentaire parisienne ». Mémoire de master 2 « Didactique des langues du FLE et du FLS : métiers de la recherche, de l’enseignement et de l’ingénierie » sous la direction de C. Peigné, année 2020-2021, INALCO. Paris.
 
Programmes Scolaires – Ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, consulté le 26/12/2021. URL : https://www.education.gouv.fr/programmes-scolaires-41483
 
Notes 
[1] Dans le système éducatif français, une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants ou UPE2A est un dispositif d’accompagnement des élèves allophones inclus dans les classes ordinaires.

[2] Kamishibaï signifie littéralement : « théâtre de papier ». C’est une technique de contage d’origine japonaise basée sur des images qui défilent dans un butaï (théâtre en bois), équipé de petits ouvrants (ou non).
Un kamishibaï est composé d’un ensemble de planches cartonnées numérotées (généralement entre 11 et 15), racontant une histoire. Chaque planche met en scène un épisode du récit, le recto pour l’illustration, le verso pour le texte. Les planches sont introduites dans la glissière latérale positionnée au dos du butaï dans l’ordre de leur numérotation. En ouvrant les volets du butaï, le public découvre les illustrations tandis que le narrateur lit le texte en faisant défiler les planches les unes après les autres devant les spectateurs.
https://kamishibais.com/content/10-qu-est-ce-qu-un-kamishibai

[3] L’association Dulala a pour vocation de faire du multilinguisme de notre société un levier pour favoriser l’égalité des chances et lutter contre les discriminations.