Les dispositifs eTandem du département d’études chinoises de l’Inalco

L’apprentissage en Tandem est un apprentissage entre deux personnes appartenant à deux communautés de langues maternelles différentes qui collaborent dans le but d’apprendre mutuellement la langue maternelle de l’autre, et de découvrir leurs cultures respectives (Lewis et Stickler, 2007/2009). Afin de stimuler la pratique de l’oral régulière des étudiants, le département d’études chinoises a introduit des dispositifs eTandem proposant des séances de rencontres à distance entre les étudiants de l’Inalco et des universités chinoises en Chine.
eTandem - Crédits - www.univ-lorraine.fr
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1. Introduction
 
Parmi de nombreux points faibles dans l’enseignement/apprentissage du chinois, nous avons remarqué que la compétence en expression orale est considérée par les étudiants comme une matière « difficile » (75 %, n =26) ou « très difficile » (13 %, n =26, enquête réalisée auprès des étudiants de licence 2 du département d’études chinoises de l’Inalco, 2018).
 
En effet, tout d’abord, la langue chinoise à l’oral est très différente du français. À cause des systèmes complexes de tons et de l’intonation du chinois, sans un entraînement régulier avec un locuteur natif, l’apprenant francophone seul maîtrise très mal les habiletés liées à la prononciation. A tout cela s’ajoute le temps très limité dédié́ à cet apprentissage : pour les étudiants en première et en deuxième année de licence de chinois, ils n’ont qu’une heure et demie de cours d’expression orale, étalée sur toute l’année universitaire, soit 39 heures par an. C’est évidemment très peu pour qu’ils maîtrisent bien cette compétence.
 
En même temps, en contexte non naturel, les apprenants disposent de peu d’occasions pour rencontrer des natifs chinois et ont très peu de possibilité́ de travailler l’oral en dehors de la classe. Par conséquent, ils progressent très lentement et se sentent frustrés lorsqu’ils veulent s’exprimer en chinois.
 
« Mes difficultés propres tiennent à une mémorisation très imparfaite des tons d'abord, ensuite à mon manque total de pratique du chinois, donc j'ai beaucoup de mal à faire des phrases correctes dans l'échange spontané sans avoir le temps de réfléchir » (LM).
 
2. eTandem dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères
 
L’apprentissage en Tandem est un apprentissage entre deux personnes appartenant à deux communautés de langues maternelles différentes qui collaborent dans le but a) d’apprendre mutuellement la langue maternelle de l’autre ; b) de faire la connaissance de l’autre personne ; c) de découvrir leurs cultures respectives (Lewis et Stickler, 2007/2009). Durant une séance d’échange en ligne, via une application de communication, l’apprenant et son binôme natif pratiquent ensemble la langue cible pendant une durée de temps limitée, puis passent à la langue maternelle (ou l’inverse) pour la même durée. Chacun joue à la fois le rôle d’apprenant et assume le rôle d’expert afin d’apporter le soutien langagier et culturel à son binôme. Les participants dans les dispositifs eTandems doivent posséder une certaine compétence en autonomie pour gérer leur travail. En respectant un calendrier commun, les deux apprenants doivent définir ensemble la date et l’horaire de chaque échange. Ils sont également censés pouvoir résoudre eux-mêmes d’éventuels problèmes susceptibles de générer des obstacles pour leurs échanges. Être autonome est ainsi une condition indispensable pour mener à bien le travail en eTandem. C’est également à travers leur travail en autonomie qu’ils renforcent cette même compétence.
 
3. Les premiers dispositifs eTandem chinois à l’Inalco - retours d’expériences
 
Le eTandem a été introduit au département d’études chinoises à l’Inalco depuis 2012. Le projet “eTandem Inalco/Genève/Hubei” est le premier dispositif eTandem chinois officiel de l’Inalco. Tous les ans, au 1er semestre, 20 étudiants de licence 1 en chinois de l’Inalco et une dizaine d’étudiants de licence 1 en chinois de l’université de Genève forment des groupes de 2 ou 3 personnes avec une trentaine d’étudiants chinois en français de l’université de Hubei. Chaque groupe doit réaliser 8 échanges dont chacun dure 30 minutes pour chaque langue. Du côté de l’Inalco, les participants sont dispensés des cours d’oral en présentiel mais sont libres d’assister aux cours s’ils le souhaitent.
 
En 2017, deux autres dispositifs eTandem ont été créés. Il s’agit du “eTandem Inalco-Université chinoise de Hongkong” et “eTandem Inalco-ParisTech”. Non pas comme le “eTandem Inalco/Genève/Hubei”, où l’enseignant tuteur est presque absent du côté de l’Inalco, dans ces deux nouveaux dispositifs, le fonctionnement est différent. Pour le eTandem avec l’université chinoise de Hongkong, tous les échanges ont lieu en collectivité et en présence de l’enseignant dans une salle de cours. Il s’agit d’échanges en direct en ligne dans le cadre d’un cours en présentiel. Nous l’avons introduit sous forme d’essai. Trois échanges ont eu lieu avec une dizaine d’étudiants de licence 0. En ce qui concerne le “eTandem Inalco-ParisTech”, huit échanges sont proposés aux étudiants volontaires de licence 2. Ils ont travaillé en binôme avec des étudiants chinois en formation de français à ParisTech. Ces séances d’échange sont organisées en plus des cours en présentiel.
 
D’après les retours des apprenants et enseignants de ces trois dispositifs, grâce aux questionnaires et entretiens informels réalisés entre 2018 et 2019, nous pouvons résumer quelques points forts et faibles des dispositifs eTandem.
 
Les dispositifs eTandem stimulent la motivation des participants et apportent des occasions précieuses pour pratiquer la langue orale avec des locuteurs natifs. Ils favorisent l’amélioration des compétences orales et culturelles. Cependant, un dispositif eTandem exige une gestion rigoureuse de la part de l’enseignant encadrant. Il est indispensable de proposer un tutorat et un suivi régulier afin de connaître l’avancement des activités des participants. Nous avons constaté que sans encadrement, sans évaluation, sans programme prédéfini, l’apprenant abandonne facilement l’expérience ou participe aux activités très irrégulièrement.
 
Beaucoup de participants auraient aimé avoir davantage de corrections langagières de la part de leurs binômes. Ils mentionnent que pendant les échanges, les locuteurs natifs ne corrigent pas souvent, voire pas du tout leurs erreurs. Après avoir travaillé, les apprenants ne sentent pas avoir beaucoup appris, ils ne savent pas non plus si leur niveau s’améliore.
 
Une autre remarque concerne la rétention des connaissances apprises pendant les échanges. En effet, les mots et les expressions acquis pendant les échanges sont souvent répétés oralement. Les participants n’ont pas besoin de les noter à l’écrit. Par conséquent, sans révision régulière et sans pouvoir s’en rappeler facilement, ces connaissances seraient rapidement effacées dans la mémoire des apprenants.
 
Ces observations nous incitent à mettre en place des mesures spécifiques pour améliorer les points faibles de ce genre de dispositif afin de mieux exploiter leurs potentialités. C’est ce que nous avons fait dans le nouveau dispositif eTandem créé en 2018, il s’agit du projet “eTandem chinois français Inalco-BFSU[1]”. 

4. Le programme “eTandem chinois/français Inalco-BFSU”
 
4.1. Structure générale
À la rentrée de l’année universitaire 2018, nous avons commencé la conception d’un programme eTandem Inalco-BFSU. Ce programme a pour objectif de permettre aux étudiants en chinois en licence 2 de l’Inalco et les étudiants en français de licence 2 de BFSU de se rencontrer et de pratiquer les deux langues d’une manière régulière et guidée. Il a également pour mission de corriger les défauts des autres dispositifs eTandem précédemment établis.
 
Ce programme est organisé sous forme de formation hybride qui dure 15 semaines, en combinant des séances de travail en présentiel et à distance. D’une part, nous avons proposé cinq séances en présentiel pendant lesquelles les points linguistiques et culturels des sujets à travailler à distance sont introduits. D’autre part, pendant huit semaines chaque apprenant travaille avec son binôme chinois à distance. Deux ateliers de conversation en présentiel en parallèle des huit semaines de travail d’échange sont également organisés. Les deux dernières semaines du semestre sont consacrées à l’évaluation et au bilan, sous forme d’entretien individuel entre l’apprenant et l’enseignant. 
 
4.2. Activités en ligne
Pour chaque séance de travail en ligne, nous avons conçu trois activités obligatoires : « communiquer en chinois et en français », « faire un compte rendu », et « résumer mes acquis ».
 
« Communiquer en chinois et en français » est le point central du travail en ligne. Nous leur avons demandé de discuter en chinois (pour les étudiants de l’Inalco) sur des sujets déjà vus pendant les cours en présentiel. Les discussions sont sous formes diverses : présenter une situation, échanger des avis, échanger des informations, et très occasionnellement faire un jeu de rôle. Une fois cette partie du travail accompli, ils sont libres de choisir des sujets de leur intérêt pour discuter. Le temps de pratique est d’au minimum 45 minutes pour chaque langue, mais s’ils le souhaitent, ils peuvent prolonger la durée de communication ou organiser des séances en ligne supplémentaires.
 
La deuxième activité obligatoire est de « faire un compte rendu ». Il s’agit de noter en langue maternelle un ou deux points du contenu présenté par son binôme pendant les discussions. Ce type d’activité a deux objectifs : premièrement, il permet de vérifier si l’apprenant a vraiment participé à une séance de discussion ; deuxièmement, il permet à l’enseignant de connaître les sujets de discussions qui intéressent les étudiants. Dans ce compte rendu, nous avons également demandé à chaque participant en tant qu’expert, de noter les erreurs récurrentes de son binôme pendant la communication. Cette liste des erreurs fréquentes est consultable sur la plateforme par l’apprenant après l’échange, elle lui permet de mieux connaître ses points faibles et de les améliorer.
 
Enfin, dans « résumer mes acquis », il s’agit d’établir une liste des connaissances linguistiques et culturelles que l’apprenant aurait apprises grâce à l’aide de son binôme. Bien évidemment, il ne s’agit pas de tout noter. Nous les avons encouragés à noter les points qu’ils leur semblent les plus pertinents et intéressants. Grâce à ce travail de résumé, chaque apprenant peut construire au fur et à mesure un fichier des acquis personnalisés, archivant des connaissances acquises pendant toutes les séances d’échange avec son binôme en ligne. Afin de stimuler la révision régulière, nous avons informé les apprenants que le contenu de ce fichier serait discuté pendant l’entretien de l’évaluation finale. 
 
4.3. La mise en pratique et les retours des effets
Nous avons expérimenté ce dispositif à partir de février 2019 et pendant tout le deuxième semestre de l’année.
 
En 2019, 26 étudiants volontaires de l’Inalco ont participé à ce programme. Parmi eux, deux apprenants n’avaient jamais communiqué avec un locuteur natif chinois, 17 (63 %) n’avaient jamais suivi de cours ou de formation en ligne. En 2020, 24 étudiants ont participé à ce programme. 11 (55 %) n’avaient jamais suivi de cours ou de formation en ligne.
 
Du côté des étudiants chinois du département français de BFSU, ils étaient 25 en 2019 et 26 en 2020. Pour eux, ce programme se constituait d’un atelier de pratique conversationnelle, dans le cadre d’un cours optionnel. Les étudiants chinois devaient respecter les mêmes consignes que les étudiants français.
 
Lors de nos observations entre 2019 et 2020, nous avons constaté que ce programme eTandem a apporté des occasions précieuses aux apprenants pour travailler l’oral. Les apprenants ont amélioré les habiletés langagières et ont enrichi leurs connaissances culturelles sur la Chine et la France. Ils ont également développé la conscience métalinguistique et l’appliquent pendant les échanges avec les locuteurs natifs. Cette compétence leur a permis non seulement de mieux localiser leurs points faibles langagiers mais aussi de se motiver à faire des efforts supplémentaires pour s’améliorer.
 
Le résultat nous semble très encourageant et de nouveaux dispositifs eTandem ont été créés ou en cours de création au sein du département.

Jing GUO, Maître de conférences de chinois, département d'études chinoises, Inalco.
Membre du laboratoire EA4514 PLIDAM, Inalco
 
Bibliographie
Lewis, Tim & Stickler, Uschi, « Les stratégies collaboratives d’apprentissage lors d’un échange en tandem via Internet », Lidil [En ligne], n°36, 2007, mise en ligne le 01 June 2009, consulté le 7 janvier 2022.
URL : http://journals.openedition.org/lidil/2543
DOI : https://doi.org/10.4000/lidil.2543

Notes  
[1] Beijing Foreign Studies University.