Littératures africaines en langues européennes et africaines

Les enfants apprennent à lire dans la journée, et le soir, ils écoutent des contes et ils apprennent à les dire, en kinyarwanda (Rwanda).
Les enfants apprennent à lire dans la journée, et le soir, ils écoutent des contes et ils apprennent à les dire, en kinyarwanda (Rwanda). Crédits Jean-Chrysostome NKEJABAHIZI, Butaré (Rwanda) © Jean-Chrysostome NKEJABAHIZI, Butaré (Rwanda)‎

L’une des caractéristiques de la production littéraire du continent africain est la coexistence de littératures écrites en langues européennes anciennement coloniales, et de littératures orales et écrites en langues africaines.



Cependant, l’édition et la réception est souvent limitée aux seules littératures écrites en langues européennes. Une analyse qui se situe dans une telle perspective se fonde sur une connaissance lacunaire des réalités culturelles. Or, pour comprendre les littératures du continent, leur approche méthodologique et théorique doit respecter des critères définitoires communs : la langue – africaine ou non ; et le mode de communication – oralité ou scripturalité.

     

    

Systèmes littéraires

 

Ces deux critères observables, car attestés dans toute production littéraire, définissent des « systèmes littéraires ». On distingue ainsi :

(1) les littératures orales en langues africaines ; (2) les littératures écrites en langues africaines, utilisant plusieurs systèmes d’écriture ; (3) les littératures écrites en langues européennes.

 

Le concept de « systèmes littéraires » (U. Baumgardt, 2008) ouvre des perspectives nouvelles. En effet, cette approche prend en compte les productions littéraires dans un cadre commun ; les décrit dans leurs fonctionnements respectifs puis définit leurs spécificités culturelles, avant de les comparer.

 

Sans une telle précaution, la critique risque de recourir à des comparaisons hâtives aboutissant à des jugements comme : la littérature orale « n’a pas d’écriture » ; la littérature en langue africaine « a un public très limité ». En écrivant dans une langue africaine les auteurs « n’atteignent pas un public international ».

 

Cette lecture s’inscrit dans la grille d’analyse du « sous-développement » : les productions littéraires restent marquées du sceau de ce qu’elles ont « de moins ». Or, il n’y a pas de différence de « valeur littéraire » ou de « valeur culturelle » qui distinguerait les littératures. En revanche, il existe bien une différence fondamentale entre des productions littéraires préexistant à la colonisation, et celles développées dans le contexte de cette dernière ou celui postcolonial.

 

Les littératures en langues européennes sont relativement bien étudiées [Virginie Coulon 2005 ; Douglas Killam & Ruth Rowe (eds.) 2000 ; Mônica Rector, Vernon Richard (eds.) 2012], ce qui n’est pas le cas des littératures orales et écrites en langues africaines.

  

   

Littérature orale

 

Les littératures orales sont riches. Leur diversité repose, entre autres, sur le nombre de langues impliquées, et elle exprime la spécificité culturelle de chacune d’entre elles. Cela n’exclut pas que plusieurs littératures orales en contact expriment un fond culturel commun (G. Calame-Griaule 1987, R. Finnegan 1070, U. Baumgardt et J. Derive 2008 ; J. Derive 2012).

  

   

Écriture littéraire en langues africaines

 

Les littératures en langues africaines utilisent des graphies différentes. Certaines langues développent une écriture qui leur est propre. D’autres adaptent l’alphabet arabe qui donne lieu à des littératures écrites en ajami. Comme la littérature orale, elles préexistent à la colonisation. En revanche, c’est dans le contexte de la colonisation – anglaise et française pour n’évoquer que ces deux cas –, que se situe l’adaptation de l’alphabet latin pour l’écriture des langues africaines (B. W. Andrzejewski et al. 1985; A. Gérard, A. Ricard 1995, A. Mohamdou 2005).

   

     

Littérature orale et écrite en langues africaines

Encyclopédie des littératures en langues africaines

(ELLAF)
http://ellaf.huma-num.fr/

 

La plateforme numérique du projet ELLAF a pour fonction d’étudier deux niveaux : la documentation de littératures orales et écrites en langues africaines quel que soit leur statut sociolinguistique, et l’élaboration d’un cadre de réflexion théorique. L’objectif est de dépasser la division entre oralité et scripturalité, mais surtout d’analyser les relations entre ces deux modalités d’expression littéraire.

 

Les critères définitoires des systèmes littéraires –langue et mode de communication–, fondent la spécificité de chacun des systèmes. En effet, ils déterminent largement la relation entre le producteur des textes et son public, qu’il s’agisse des lecteurs ou de l’auditoire. L’incidence de ces facteurs sur les textes, sur leurs contenus et sur leurs formes d’expression, est peu étudiée mais indéniable. Le cours « Systèmes littéraires en Afrique » que j’assure depuis plusieurs années repose sur cette analyse et la vérifie à propos des textes littéraires attestés non seulement en Afrique, mais également ailleurs.

 

Les littératures africaines illustrent clairement l’influence de la domination coloniale sur la vie culturelle des peuples colonisés dont les langues et les littératures sont minorées. En ce qui concerne de nombreux pays africains, la transmission et l’enseignement de leur patrimoine immatériel ne sont pas assurés. Là où c’est le cas, l’oralité et la scripturalité coexistent de manière complémentaire et harmonieuse.

     

     

Ursula Baumgardt

PU « Oralité et littérature africaine »

PLIDAM

Langue : peul

Parcours Oralité : Licence et Master Oralité, avec Frosa Bouchereau

« Encyclopédie des littératures en langues africaines » (ELLAF)

http://ellaf.huma-num.fr/

    

    

Références bibliographiques

 

Andrzejewski Bogomit Witalis, S. Pilaszewicz et W. Tyloch, 1985, Literatures in African Languages : Theoretical Issues and Sample Surveys, Cambridge/Varsovie, Cambridge University Press/Wiedza Powszechna, 425 p.

 

Baumgardt Ursula, 2000, Une conteuse peule et son répertoire. Goggo Addi de Garoua (Nord Cameroun), Paris, Karthala, 548 p.

 

Baumgardt Ursula, 2008, « La littérature orale n’est pas un vase clos », in Ursula Baumgardt et Derive Jean, 2008, Littératures orales africaines, perspectives théoriques et méthodologiques, Paris, Karthala, pp. 245-272.

 

Baumgardt Ursula (dir.), 2014, Représentations de l’altérité dans la littérature orale africaine, Paris, Karthala, 309 p.

 

Baumgardt Ursula, 2017 (dir.), Littératures en langues africaines. Production et diffusion, Paris, Karthala, 361p.

 

Calame-Griaule Geneviève, 1987, Des cauris au marché. Essai sur les contes africains, Paris, Société des Africanistes, 293 p.

 

Calame-Griaule Geneviève (ed.), 1991, Le Renouveau du conte, Paris, Éditions du Cnrs, 449 p.

 

Coulon Virginie, 2005, Bibliographie francophone de littérature africaine (Afrique subsaharienne), Paris, EDICEF, 479 p. (2ème édition).

 

Derive Jean, 2012, L’Art du verbe dans l’oralité africaine, Paris, L’Harmattan, 224 p.

 

Finnegan Ruth, 1970, Oral Literature in Africa, Oxford, The Clarendon Press, 558 p.

 

Gérard Albert, 1981, African Language Literatures, Washington/­Londres, Three Continents Press/Longman, 398 p.

 

Killam Douglas & Rowe Ruth (eds.), 2000,  The Companion to African Literatures, Bloomington, Indiana University Press, 336 p.

 

Mohamadou Aliou, 2005, « Si Bamako m’était conté… À propos de la transcription et de l’orthographe du peul », in U. Baumgardt et J. Derive (dir.), Paroles nomades. Écrits d’ethnolinguistique africaine, Paris, Karthala, pp. 139-151

 

Rector Mônica, Vernon Richard (eds.), 2012, African Lusophone Writers, Detroit, Gale Cengage Learning, Bruccoli Clark Layman, 421 p.

 

Ricard Alain, 1995, Littératures d’Afrique noire.  Des langues aux livres, Paris, Karthala, 300 p.