Un hot boy campagnard. Nouvelle de Hoang Anh Ngoc traduite du vietnamien par NGUYEN Thi Thuy An

La collection de proses 2013- 2014 comprend 27 textes d’auteurs favoris de ces dernières années rassemblés sous la direction de l’écrivain Ho Anh Thai. Le nom de Hoang Anh Ngoc apparaît pour la première fois dans la collection, mais sa nouvelle "Un hot boy campagnard" est largement mise en valeur. Le personnage principal est un hot boy campagnard avec trois éléments de référence : Bosse, Bien, Beau. La nouvelle, qui commence en douceur et en légèreté, peut faire rire le lecteur.
illustration Un Hot Boy
illustration un Hot Boy © Nguyen Duc Toan‎

Hót boi nông thôn

De Hoàng Anh Ngọc

 

 

Un hot boy campagnard

Traduit du vietnamien par NGUYEN Thi Thuy An

 

 

J’aime les maisons propres. Que les lits soient bien faits, que la théière et les tasses soient égouttées, sans tache brune de thé. Que les verres soient propres, sans trace de calcaire ni de mauvaise odeur. Surtout dans la cuisine, ma crainte est de voir la cuisinière à gaz graisseuse, la passoire avec des feuilles de légumes flétries voire décomposées, le couvercle du cuiseur à riz noirci de traces de mains, avec des grains de riz séchés tout autour et le fond moisi. J’éprouve également de la répugnance devant l’évier emplie de légumes, de morceaux de viande et de pelures de fruits, déjà là depuis des semaines, voire plus.

 

Les maisons propres ne sont pas forcément jolies. Plusieurs maisons en ville sont de très belle facture, mais à l’intérieur, on nage dans une mer de déchets. La maison d’une de mes connaissances en est un bel exemple. Dès le salon, l’odeur persistante du graillon venant de la cuisine nous prend au nez et puis toute cette vaisselle sale sur la table et dans l’évier. Pour atteindre la cuisine, il faut franchir d’abord toutes sortes de jouets puis tout un tas de mangues, de pastèques, de sachets des nouilles, de sacs en plastique dans un désordre total. On ne sait plus si des vêtements, pour adultes et enfants, froissés sur le sofa, sont sales ou propres (ce n’est sans doute pas le cas puisqu’elle ne les ramasse pas). Dans les toilettes, la situation ne s’améliore pas : sur la lunette en plastique, des gouttes d’urine jaunâtre, provenaient sans doute du petit garçon de quatre ans qui ne sait pas encore faire pipi correctement ; une culotte mouillée étendue sur la pomme de douche, s’égoutte sur l’émail dont la couleur blanche s’est transformée en une couleur triste de soupe de riz aux abats. Le cas de sa maison n’est pas une exception.

 

Je n’ose pas dire que je suis entrée dans beaucoup de maisons en ville. Comme je ne travaille pas dans une société, je n’ai pas beaucoup d’amis ou de collègues. Mais parmi des maisons où je suis entrée, très peu sont vraiment propres et bien rangées. À la campagne, c’est encore plus rare. C’est pourquoi cette maison propre m’a fait une très belle impression.

 

L’hôtesse de cette maison, soixante-dix printemps, y vit avec son benjamin trentenaire. J’ai rencontré donc cet homme sur le chemin du village en cherchant sa maison en compagnie d’un cadre en agriculture du centre de recherche. À première vue, il portait un gros casque, je l’ai appelé Oncle, ne pouvant pas distinguer ses traits. Mais en arrivant dans la cour de chez lui, il a enlevé le casque et « il est apparu sous sa vraie forme » (expression courante dans des contes) un bel homme costaud et charmant à la fois avec la peau bien bronzée qui témoigne de la force et contraste avec son sourire plein de gentillesse.

 

Il crachine et il fait lourd. Je me hâte d’enlever mes chaussures pour pénétrer dans la maison. Comme les carreaux du sol ornés de motifs de fleurs sont propres, je me résigne à laisser mes chaussures dans la cour, avec la certitude qu’elles seront trempées par la pluie. Au bord du lit, la mère écoute notre conversation, elle y participe parfois. Au bout de cinq minutes, son fils doit s’absenter un moment pour une affaire ailleurs. J’ai remarqué qu’il a mis mes chaussures et les tongs de mon amie française Juliette sous la véranda, à l’abri de la pluie.

 

La mère prend la suite de la conversation. Elle ne cache pas sa fierté éprouvée pour son fils, en parlant de la ferme (à la dissolution jadis et où son mari et elle étaient ouvriers), des vaches, de l’herbe, du maïs et du riz. Il se dérouille seul avec les dix vaches, et de surcroît, il découpe du bois pour une menuiserie. Bien qu’il travaille dur, l’étable de la maison fait partie des meilleures du village : les vaches sont belles et en bonne forme, l’étable est bien propre et la qualité du lait est garantie.

 

Il est aisé de constater qu’il est bien le meilleur. Élever les vaches à lait est un dur labeur. Il faut se lever de bonne heure tous les jours, vers 4h30, pour nettoyer l’étable, alimenter les vaches, traire du lait, transporter du lait au poste de pesée de l’entreprise, puis couper de l’herbe et fertiliser la prairie. Sans oublier la culture du riz et des légumes d’hiver pour avoir davantage de nourriture pour les vaches en hiver où l’herbe vient à manquer. Le travail agricole, c’est du matin jusqu’au soir. Beaucoup de familles souhaitent augmenter leur nombre de vaches mais elles manquent de main-d’œuvre. Dans beaucoup de foyers, les époux, assumant le travail à deux et en s’épuisant à l’extrême, arrivent à s’occuper de six vaches tout au plus. S’ils veulent en faire plus, il leur faut s’associer avec leurs familles ou avec des voisins. Avec des moyens, ils pourraient embaucher quelqu’un. Quant à lui, bien qu’il soit tout seul, il peut s’occuper d’une dizaine de vaches.

 

Dans les zones rurales comme celle-là, les beaux hommes ne sont pas bien nombreux, un homme beau et dynamique comme lui est encore plus rare. Déjà, il se distingue des autres qui sont moyens et il est devenu un hot boy rural. Un hot boy (3B : bosse, bien, beau) ici est encore plus facile à identifier qu’en ville. En effet, pour reconnaître si un homme est réellement bien, les jeunes filles doivent se fier à ce qu’il fait, pas à ce qu’il dit. Au village, il est inutile de chercher trop loin, ce qu’il est capable de faire est sous vos yeux : les vaches sont en forme et donnent beaucoup de lait ; dans la cour, les arbres de litchis sont lourds de fruits et ajouté à cela, quelques hectares de maïs dont la récolte est en cours. Bien que le travail agricole soit bien écrasant, la maison est toujours bien rangée et propre. En plus, il a de beaux petits gestes plein de douceur masculine comme de mettre vos chaussures à l’abri de la pluie, ou encore d’hésiter de nous faire visiter l’étable car débordé, il n’a pas eu encore temps de la nettoyer.

 

Alors qu’en ville, sur dix hot boy, il y a des hot boy autoproclamés ou considérés comme tels, un ou deux le sont vraiment, pour ce qui est du reste, chacun est hot à sa manière. Certains hommes se traînent dans les bureaux en attendant la fin de la journée de travail, certains autres bavardent dans les cafés ou les salons de thé sur les trottoirs ou bien sur des forums de la toile, comment en identifier un vrai ? Chaque garçon veut montrer ce qu’il est… un homme, dynamique (ce qui nous rassure), il affiche de beau projet pour l’avenir, il affiche son courage. Mais ce qu’il a vraiment fait, on ne le saura jamais. L’homme est par nature un être de façade. Au bureau, il porte un masque. Devant les belles filles, il porte un autre masque. À la ville, les jeunes hommes ont plusieurs masques et ils cachent une part de leur vraie personnalité. Même si tu es tombé amoureuse de lui, tu te poses parfois des questions : quel est son vrai visage ? Comment ne pas se tromper en choisissant un type en trompe-l’œil ? Comment savoir que tu te donnes à la bonne personne ? Tu ne peux pas savoir, sauf si tu fais confiance à ton instinct bien fragile, mais alors le taux de réussite est extrêmement bas dans cette mer immense de gens.

 

C’est pourquoi je pense que ce serait plus simple si j’étais une fille de la campagne. Certainement, plein de filles ici veulent être sa femme. Il est si beau. Une personne avec une vraie beauté est très rare de nos jours. Si j’étais une fille du village, je serais certainement tombée amoureuse de lui. Et je n’aurais pas besoin non plus de grand-chose. Il suffirait que je sois à côté de mon bien-aimé. Le matin je me lèverais tôt pour l’aider à couper de l’herbe, à nettoyer l’étable. Je ferais le ménage et préparerais des plats pour sa mère et lui. Elle ne va pas beaucoup se plaindre car je suis ordonnée. Je sais bien me comporter et je ne suis pas vilaine ni paresseuse. Si j’étais une fille née et grandie à la campagne, et que de toute ma vie, je ne connaisse que le champ de rizière et le potager, qu’y aurait-t-il de plus merveilleux que de trouver un homme comme celui-là ? Y a-t-il jamais eu de sujet plus passionnant que les hommes forts, beaux et dynamiques ? Dès qu’on les voit, nous les femmes, on devient complètement folles. Cela me rappelle l’histoire de Chí Phèo, quand il était encore un être humain, la troisième femme du Ba Kien lui a ordonné de lui masser les jambes, puis plus haut et encore plus haut. Cette histoire n’a rien de choquant, elle est plutôt logique.

 

Sa virilité évidente a eu un effet nettement positif sur notre conversation, Juliette et moi, nous sommes toutes joyeuses et à l’aise même avec une coupure d’électricité et qu’il fait terriblement chaud. Et avec la visite de deux filles comme nous, la mère et le fils se sentent, de leur côté, vivifiés. Avec enthousiasme, ils sont si absorbés par la conversation avec le cadre (pendant que je converse avec Juliette), de telle sorte qu’ils sont surpris et se taisent quand je les interromps. Mais en réalité, c’est Juliette qui souhaite connaitre les projets d’avenir de la famille, (j’ai failli éclater de rire en voyant leurs yeux grands ouverts en entendant la phrase que j’ai traduite). La mère éclate de rire, écartant ses dix doigts, les pliant puis les écartant de nouveau. Elle dit qu’elle achètera vingt vaches de plus si son fils se marie cette année. Il devient pudique, sourit avec douceur pour se défendre : « Ma mère plaisante, il ne faut pas la croire ». Puis côté français et côté vietnamien, la conversation reprend joyeusement. 

 

Ce jour-là, grâce à la rencontre avec cet homme, j’ai trouvé que l’atmosphère était radieuse et aérienne malgré le crachin. Quand on connaît le malheur dans la vie, les belles choses positives rendent l’existence moins triste. Je croyais être la seule, mais Juliette est aussi désorientée par ce bel homme. Assise à l’arrière de ma moto, elle me demande soudainement : « Est-ce que tu trouves que c’est étrange ? Qu’un homme comme lui ne soit pas encore marié ? Il n’est pas mal du tout ? Et c’est la première fois après avoir travaillé ensemble pendant plus d’un mois, que Juliette, une fille discrète et timide, me demande des choses sur l’amour, sur l’idée de l’amour que se font les Vietnamiens, sur le mariage et plein d’autres choses intimes. Toutes les deux, on mange du yaourt en bavardant de tout et de rien. Je ne me souviens plus ce que nous avons raconté comme histoires, je me rappelle seulement la phrase de Juliette : « C’est trop dur d’être une femme »  Cette phrase n’a pas de lien avec ce que je viens de raconter ci-dessus.