La capsule conversationnelle

La capsule conversationnelle est un dispositif innovant permettant de collecter et de prétraiter numériquement des corpus de parole spontanée. Elle a vocation à se déplacer d’un lieu à l’autre, au gré des projets.
Une capsule conversationnelle
Une capsule conversationnelle. GuyKayser ; https://guykayser.autoportrait.com/capsule-conversationnelle © GuyKayser‎

Le malgache, une langue comme les autres…



C’est en 1898 qu’un enseignement du malgache commence à être dispensé à l’Inalco. Et notre institut reste à ce jour le seul établissement universitaire au monde à proposer un enseignement de malgache langue étrangère au sein d’un cursus universitaire (licence – master – doctorat).

Parmi la centaine de langues enseignées à l’Inalco, le malgache fait partie de celles dites « à petit effectif » c’est-à-dire des langues pour lesquelles le nombre d’étudiants inscrits est faible et dont le rayonnement géopolitique est restreint.

 

Même si le fait d’être une langue à petit effectif génère nécessairement des spécificités quant au déroulement des cours et à leur contenu, il n’en demeure pas moins que les étudiants de malgache partagent des besoins identiques à ceux des « grandes » langues vernaculaires.

 

Au nombre de ceux-ci peut-on citer par exemple le contact et la familiarisation avec une langue « de tous les jours » (Blanche-Benveniste : 304)[1]. Pourtant, la documentation, la description de cette langue du quotidien font régulièrement défaut aussi bien aux langues à petit effectif qu’à celles drainant un nombre important d’apprenants.

 

Cette situation résulte de multiples facteurs ayant trait, par exemple, à la mise en œuvre de collectes de données orales authentiques, à l’exploitation de ces dernières lorsqu’elles ont été recueillies, ou encore à leur traitement : comment les didactiser ? que faire de la variation qu’elles illustrent ? quelle terminologie, quel métalangage employer, etc. ?

C’est ainsi que, dans leurs cours, les étudiants ont bien souvent affaire à une langue construite par le descripteur, le grammairien ou le théoricien, et que l’enseignant se trouve face à une situation paradoxale : disposer majoritairement - voire uniquement – de ressources sur l’oral illustrant un usage minoritaire des locuteurs natifs, celui que Blanche-Benveniste (Ibid.) nomme « la langue du dimanche ». Car c’est bien cette langue normée qui figure le plus souvent dans les ouvrages disponibles pour la classe de langue, la « langue de tous les jours » en étant exclue.

 

 

La capsule conversationnelle

 

C’est dans ce contexte qu’est né un projet[2] ayant pour objectif la collecte de corpus oraux à l’Inalco et prenant pour base l’utilisation de la « capsule conversationnelle ». Conçu pour répondre aux besoins en données langagières orales et spontanées des linguistes, des enseignants, mais aussi des concepteurs d’objets connectés par exemple, ce dispositif innovant, allie art, technique et numérique. Il est le résultat d’une collaboration entre des linguistes, un artiste peintre spécialiste en arts numériques, GuyKayser, et un informaticien, Gérard Parésys. Réalisée dans le cadre du projet « Les voix dans l’escalier », cette œuvre interactive nomade est destinée à permettre la collecte de corpus oraux.

 

La capsule conversationnelle se présente sous la forme d’un espace fermé (elle peut également adopter une position ouverte mais celle-ci est moins favorable au recueil de voix exemptes de sons parasites), confortable et accueillant, dans lequel les locuteurs, volontaires pour être enregistrés, s’assoient, autour d’un café par exemple. Les équipements techniques dont est dotée la capsule permettent d’une part que leur parole soit enregistrée numériquement, d’autre part que le corpus ainsi collecté bénéficie d’un prétraitement numérique.

 

En pénétrant dans la capsule pour y être enregistrés, les locuteurs s’impliquent directement dans la production du fonds des données et dans la constitution d’un patrimoine. De façon générale, la captation peut être plus ou moins orientée par le collecteur, et donner lieu ainsi par exemple au recueil de discussions, d’interviews, de lectures à voix haute, de parole littéraire comme des déclamations, des joutes oratoires, etc.

Les perspectives sont nombreuses.

 

 

L’apport des corpus collectés

 

Ainsi la capsule conversationnelle peut-elle potentiellement intéresser et sous différents aspects, la plupart des 100 langues enseignées à l’Inalco : les « grandes » langues vernaculaires et leurs usages ou leurs évolutions ; les « petites » langues pour comprendre des civilisations éloignées, documenter la communication et l’interaction avec leurs locuteurs.

 

Sur un socle universel, partagé par toutes les langues, et qui a trait à la nécessité de disposer de ressources authentiques pour assurer un enseignement prenant en compte au plus près les réalités de la langue telle qu’elle est « réellement parlée » par ses locuteurs, l’enseignant pourra choisir l’objet du patrimoine qu’il va se constituer.

 

Car cette totale liberté quant à la forme – libre ou semi-dirigée, plusieurs locuteurs ou un seul – et au contenu – langue quotidienne ou littéraire ; conversations ou monologues ; thème imposé ou totalement libre - permet au collecteur de concevoir sa captation à des fins plutôt d’enseignement, de recherche, de patrimonialisation ou de documentation.

Selon les cas, le corpus pourra donc être directement utilisé comme support dans la classe de langue mais il pourra aussi répondre à d’autres objectifs : comme celui de constituer des dictionnaires, des lexiques, ou des guides (à l’usage de futurs expatriés par exemple), de préserver un usage régional, une langue contemporaine ou littéraire, un état de langue intrinsèquement vouée à évoluer. La collecte pourra aussi se focaliser sur une thématique très précise pour laquelle les ressources seraient rares ou inexistantes.

 

Enfin, tout en documentant l’usage de la langue par ses locuteurs, la capsule pourra également enrichir les connaissances disciplinaires d’une aire culturelle particulière (linguistique, anthropologique, littéraire, …) et apporter des ressources exploitables dans le cadre de la formation et la communication multilingue et multiculturelle.

 



A noter : la capsule conversationnelle sera installée à l'Inalco du 12 novembre à la mi-décembre 2020. Au cours de ces semaines, chacun pourra l'utiliser pour constituer des corpus répondant à ses besoins.

 

 

Louise Ouvrard 

Responsable de la section d'études malgaches.

Directrice de la filière C.F.I. "Communication et Formation Interculturelles"

 

 

En savoir plus

http://gerard.paresys.free.fr/Journal/Capsule.html





[1] Blanche-Benveniste, Claire, 2013, « La langue du dimanche et la langue de tous les jours », Revue Tranel, vol. 58, pp. 301-305.



[2] Financement DGLFLF (délégation générale à la langue française et aux langues de France rattachée au ministère de la culture) - 2019.