Un MOOC pour l’enseignement-apprentissage des langues : le MOOC « Décloisonnons les langues, approches plurielles du français ». Retour sur la conception d’un projet AHFLO’ de l’Inalco.

Les MOOC d'enseignement-apprentissage de Langue additionnelle (LA) font partie des MOOC qui réunissent un nombre important d'apprenants en France. Ouverts à tous, ils font désormais partie du paysage des ressources éducatives libres ouvertes placées au service de la formation tout au long de la vie dans le domaine de l’enseignement et de l’apprentissage des langues dites étrangères. Quelles que soient les visées initiales des concepteurs des dispositifs, ces LMOOC (Language Learning MOOC) ouvrent vers une mise en pratique de compétences de réception, de production et d'interaction (verbale et non-verbale) en langue cible dans des actes de communication réels (Barcena et al., 2014 ; Hoppe, 2019) et ce notamment via les forums de discussions.

MOOC (Massive Open On line Course), LMOOC (Language learning MOOC), SPOC (Small Private On line Course), enseignement-apprentissage des langues et usages du numérique
 
Depuis 2015, le lancement de LMOOC en France a, sans conteste, contribué à l’observation d’usages de différents acteurs dans des environnements numériques et à l’enrichissement de la réflexion sur les enjeux de l’enseignement-apprentissage des langues dispensé en ligne et totalement à distance. Avatars de l’open learning et malgré les critiques, les MOOC continuent de réunir des milliers de participants qui à l’échelle internationale se comptent dorénavant par millions aujourd’hui.
 
Grâce à sa production de LMOOC, l'Inalco a largement contribué à rendre accessible à tous des MOOC d’enseignement des langues offrant ainsi un premier contact avec de nombreuses langues (arabe littéral, chinois, tchèque, birman, hébreu, turc, etc.) Œuvrant en faveur de la diversité des langues, du deuxième volet de la série de MOOC proposé par l’Inalco, retenons qu’il s’appuie sur les « langues et cultures autochtones ». Le MOOC de dongba de cette deuxième série par exemple, sera proposé en version plurilingue (français, chinois, anglais et allemand) et s’adressera à une audience internationale variée tout en donnant une large visibilité à une langue-culture menacée. Au-delà des enjeux de diffusion et de sauvegarde des langues, on peut ainsi dire que l’ensemble de ces MOOC a permis et continuera de mettre en jeu un discours « public » d’un ensemble d’acteurs à travers des échanges selon un mode de régulation qui exprime une forme d’appropriation des usages du numérique dans l’enseignement.
 
Que peut-on retenir de la mise à disposition de ce type d’environnement pour le domaine de l’enseignement-apprentissage des langues? Comment réinvestir et adapter cette modalité d’apprentissage dans de futurs dispositifs ?
 
Du MOOC au SPOC : retour d’expérience sur deux dispositifs
 
Dans le domaine de l’enseignement du français en tant que langue étrangère, lancé en 2015, le MOOC Paroles de FLE ne faisait pas partie des MOOC de l’Inalco. Il a été proposé trois années de suite à l’université de Nantes mais a néanmoins fait l’objet de recherches qui ont été ancrées au sein du PLIDAM (Pluralités des Langues et des Identités) à l’Inalco. L’étude a montré que malgré les contraintes technologiques et celles intrinsèquement liées au format ouvert et massif, il était envisageable de soutenir l'engagement proactif des inscrits et le développement de compétences métacognitives et métaréflexives (par la mise en relation de connaissances, la mise en œuvre d’approches contrastives, critiques, réflexives, etc.).
 
Du MOOC au SPOC, quel format pour quels usages ?
 
Au sein du dispositif MOOC Paroles de FLE, les forums ont contribué à encourager des pratiques collaboratives, la négociation de sens, l'engagement des inscrits dans des communautés d'enquête, le soutien mutuel par l'évaluation par les pairs et le partage de nouvelles connaissances. La conception du dispositif MOOC, souple et flexible, reposait sur une pondération différente qui variait en fonction de l'importance et de la valeur que les apprenants accordaient aux différentes tâches. Malgré les résultats positifs quant à l’efficacité du dispositif et du scénario pédagogique, les retours d’expérience des trois sessions du MOOC Paroles de FLE ont aussi révélé des problèmes. Parmi ceux-ci on peut retenir :

  • Des difficultés de suivi et d’engagement des apprenants liées à la massivité 
  • Des difficultés à suivre individuellement et efficacement les apprenants engagés 
  • Des difficultés pour une partie des apprenants à s’engager de manière active dans les évaluations par les pairs
  • Des difficultés à gérer les échanges dans les forums car le nombre de messages est très volumineux.

Cherchant à explorer les avantages de formats associés aux MOOC dans un format différent mais complémentaire, une expérimentation d’un dispositif SPOC[1] (Small Private On line Course) plus réduit a été lancée en 2019 suite au MOOC « Paroles de FLE ». La conception du SPOC reposait sur un ajustement du dispositif MOOC.
 
Si le projet a révélé des pistes de réflexion intéressantes, le dispositif n’a été proposé qu’à deux reprises. L’une des raisons à cet arrêt peut s’expliquer en partie par des effets de contexte : il s’est en effet avéré impossible de créer un parcours hybride entre les cours en présentiel et le suivi du SPOC parce que le curriculum initial de la formation en présentiel ne l’autorisait pas. Malgré cela et comme l’a montré l’ouverture du SPOC en langue arabe de l’Inalco, une articulation et une complémentarité entre différents types de dispositifs, MOOC, SPOC et formation à distance quelque soient les supports (FUN, Moodle, etc.), reste un atout pour l’enseignement-apprentissage des langues y compris au point de vue institutionnel. Ainsi il semble clair que le format SPOC peut rendre accessibles des formations en langues qui dépassent les limites régionales des institutions et encourage l’hybridation des publics. Un potentiel qui se confirme lorsque l’on examine la diversité des profils d’apprenants inscrits au SPOC de FLE.
 
Au total, ce sont 75 apprenants parfois très distants géographiquement qui se sont engagés au sein des deux sessions du SPOC dans un format totalement à distance, en hybride et en présentiel suggérant des modalités de suivi très différentes. Les analyses révèlent d’autre part des usages différents de ceux du MOOC :

  • Un nombre plus important d’apprenants engagés jusqu’à la fin du parcours comparé au MOOC.
  • Un suivi personnalisé facilité qui a un effet sur le potentiel de développement langagier.
  • Un nombre d’interactions entre pairs dans les forums, en revanche, très limité et des échanges se limitant à un dialogue enseignant-apprenant.

Ce bilan souligne ainsi que le SPOC était ancré dans un contexte institutionnel dans lequel les apprenants cherchent à se former avant tout. On peut noter que le nombre limité des interactions dans les forums du SPOC rejoint celui d’études qui ont été auparavant menées sur les interactions et les usages des forums dans d’autres formations à distance.

Conception du MOOC Décloisonnons les langues - Image 2
Conception du MOOC Décloisonnons les langues - Image 2 © Inalco‎

On peut déduire de ces retours d’expérience que le contexte et les conditions dans lesquelles s’insère toute mise en place d’un dispositif restent des éléments essentiels pour comprendre et analyser les usages et l’appropriation d’un dispositif MOOC ou SPOC ou de toute formation à distance ou en présentiel. Ce retour sur les dispositifs MOOC et SPOC indique, ainsi que l’interaction sociale dans les forums de discussion, est un moyen important pour les apprenants, dans une formation à distance, d’échanger et de partager des informations. C’est aussi un facteur clé qui affecte la qualité de l’apprentissage des langues (Wise et Cui, 2018). À partir de ces retours d’expérience, on peut donc faire l’hypothèse que la construction des connaissances qui est répartie entre des apprenants (MOOC) et entre des apprenants et des enseignants (SPOC) ont leurs propres caractéristiques mais que les deux sont nécessaires pour l’apprentissage des langues en ligne à l’avenir.
 
Quelle dimension retenir pour une réflexion pédagogique sur l’enseignement-apprentissage des langues dans ces environnements numériques ?
 
Malgré les limites qui ont été passées en revue, il a aussi été constaté que certains types de tâches communes aux deux dispositifs ont suscité un engagement actif des apprenants, un traitement en profondeur de la langue cible et davantage d’échanges collaboratifs. S’appuyant sur les pratiques naturelles que les personnes plurilingues utilisent au quotidien lorsqu’elles passent d’une langue à l’autre, ces tâches encouragent les apprenants à mobiliser différentes ressources de leur répertoire langagier.

Figure 3 : nuage de mots réunis à partir d'une autobiographie langagière réalisée par un apprenant.
Figure 3 : nuage de mots réunis à partir d'une autobiographie langagière réalisée par un apprenant. © Inalco‎

Lorsque les apprenants s’impliquent dans ce type de tâche au sein d’un environnement social, les interactions sont ancrées. Toutes ces activités que l’on peut regrouper sous le vocable d’approches plurielles de l’enseignement des langues facilitent la diversité créative, la diversité d’expression des sentiments, des pensées et des identités, différentes façons de connaître et de voir le monde. Elles encouragent de fait une dimension multimodale et multisensorielle (Li Wei, 2018). 
 
Adapter, réinvestir et développer des dispositifs à distance dédiés à l’enseignement des langues 
 
C’est sur l’exploration d’une partie de ces processus que repose le projet de MOOC « Décloisonnons les langues : approches plurielles du français ». Pour ce qui est du contexte de lancement du MOOC, il est porté par le projet AHFLO' soutenu par l’Inalco[2] et dont l’un des objectifs est de permettre de déployer une stratégie de développement du numérique dans les formations en langues et civilisations.
 
Le projet AHFLO’ « le MOOC Décloisonnons les langues : une approche plurielle du français »
 
Ce MOOC proposera à partir du mois d’avril 2022 (Ouverture prévue sur la plateforme FUN) un parcours reposant sur une posture pluri/multilingue de l’enseignement-apprentissage des langues et plus particulièrement du français. La conception du dispositif vise à créer des conditions pour que les participants qui s'y engagent, prennent conscience de la diversité langagière et la mobilise réflexivement dans et par l'expérience. Le projet permet d’autre part d’y impliquer des acteurs très différents dont les étudiants de master de la filière Didactique des langues (DDL) depuis la conception jusqu’au suivi des apprenants une fois que le MOOC sera ouvert au public.

Figure 4 : Exemple d'un module de cours créé par les étudiants de la filière DDL.
Figure 4 : Exemple d'un module de cours créé par les étudiants de la filière DDL. © Inalco‎

Du point de vue du public, le cours dans sa version finale s’adresse aussi bien aux enseignants qu’aux apprenants de langues. Les futurs inscrits pourront partager, tout au long des 6 semaines de cours, une réflexion pluri/multilingue sur le rapport entre les langues et la langue française. L’un des objectifs est d’offrir quelques outils nécessaires à la remise en question du cloisonnement des langues. Un objectif complémentaire est de soutenir la capacité des locuteurs pluri/multilingues à faire la navette entre les langues qui constituent un répertoire langagier unique et intégré.

Ce MOOC offre ainsi un espace d’échange explicitement orienté sur les stratégies de communication intuitives et naturelles que les pluri/multilingues déploient dans la vie de tous les jours qui permettent d'acquérir de nouvelles ressources langagières.

En quelques mots, la conception du dispositif cherche à adopter une approche pédagogique d’exploration, de collaboration, de coopération qui encourage :

  • Une expérience d’apprentissage en groupe d’apprenants et d’enseignants de langue.
  • Une pratique socialement authentique assortie d’instructions explicites pour le développement d’une pratique réflexive.
  • Un recul critique sur les pratiques où les enseignants et les apprenants de langues remettent en question ce qu’ils viennent d’expérimenter.
  • Un dialogue collaboratif pour répondre aux tâches et une expérience d’apprentissage modifiée par l’expérimentation résultant de la réflexion. 

Deux parcours soutiennent une complémentarité des usages et de l’appropriation du futur MOOC :

  • Un parcours libre qui donnera accès à l'ensemble des ressources et activités prévues dans le MOOC que les inscrits pourront consulter à leur rythme ou réaliser l'ensemble des activités et d'échanger via les forums de discussion. Cependant, aucune attestation de suivi avec succès du MOOC ne sera délivrée à la fin dans ce parcours.
  • Un parcours certifiant qui donnera non seulement la possibilité de suivre le cours selon un rythme « choisi » par les futurs inscrits avec des activités notées qui seront prises en compte dans l'évaluation globale de la réussite du cours. Un accès final à un examen surveillé permettra d’obtenir 4 crédits ECTS (European Credits Transfer System) qui seront utilisables dans tout diplôme de l'enseignement supérieur, à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) ou dans tout établissement d'enseignement supérieur, notamment en tant que LANSAD (Langues pour spécialistes d'autres disciplines).

En quelques mots, l’idée forte de ce projet est de soutenir une construction collaborative d’acteurs qui interagissent dans une communauté de pratiques au sein d’une culture d'apprentissage ouverte. L’expérimentation du dispositif et les futures recherches qui en découleront sont ancrées dans la filière Didactique des Langues (DDL) de l’Inalco et dans le programme RAFAL (Recherche, Accompagnement, Formation et Appropriation en Langues) de l'équipe de recherche Pluralité des Langues et des Identités : Didactique, Acquisition, Médiation (PLIDAM). Pour la recherche dans le domaine de l’enseignement des langues soutenu par le numérique, elle sera l’occasion d’explorer la rencontre du MOOC avec son public, la manière dont les acteurs trouveront leur place et s’approprieront le dispositif en y exprimant pleinement leur identité. Ces retours seront sans aucun doute un moyen de comprendre encore davantage les perspectives de l’enseignement des langues.
 
 
Christelle HOPPE, associée de PLIDAM & chargée de cours de la filière DDL, Inalco – enseignante de FLE à l’université de Nantes.
 

 
Références

Bárcena, E., & Martín-Monje, E. (2014). 1 Introduction. Language MOOCs: an Emerging Field. In Language MOOCs (pp. 1-15). De Gruyter Open Poland.
 
Hoppe, C. O. (2019). Mise en place d'un dispositif LMOOC d'enseignement-apprentissage des langues : analyse didactique d'une recherche intervention (Doctoral dissertation, Institut national des Langues et Civilisations orientales - Inalco Paris - Langues O').
 
Wei, L. (2018). Translanguaging as a practical theory of language. Applied linguistics, 39(1), 9-30.
 
Wise, A. F., & Cui, Y. (2018). Learning communities in the crowd: Characteristics of content related interactions and social relationships in MOOC discussion forums. Computers & Education, 122, 221–242.
 
 
Notes 
 
[1] Ce SPOC intitulé « d’une langue à l’autre » a été aussi expérimenté à l’université de Nantes.
 
[2] http://www.inalco.fr/formations/formation-distance/projet-ahflo