Séminaire du projet MAG-Renew : Le Renouveau musical au Maroc, 19e siècle.


De l’usage musical et l’œuvre de la Réforme (Maroc, 19éme siècle)
La poésie occupe une place centrale dans l'œuvre des grands maitres soufis. Nous citons les propos d'Ibn ‘Arabî pour comprendre le rôle majeur qu'il lui assigne comme support doctrinal. « Dieu, écrit-il, me fit entendre dans ma poitrine le grincement des Calames (sarîf al-aqlâm) [qui inscrivent les destinées des créatures] ; c'était une mélodie à deux ou trois temps, selon que le rythme doit décroître ou croître. "Qu'est-ce que ce refrain ?» demandai-je. "C'est l'audition poétique (al-samâ‘) !" me fut-il répondu. "Et qu'ai-je à faire de la poésie ?" - "Elle est l'origine (asl) de tout ; le langage poétique est l'essence immuable (al-jawhar al-thâbit) … ».
L’audition poétique et musicale reste de nos jours en usage dans les assemblées culturelles et spirituelles au Maroc. Une pratique que nous retrouvons également à un moment crucial de l’histoire récente du royaume, la deuxième moitié du 19e siècle, un zamân al-islâḥ, ère de la Réforme, dont les tenants considéraient que l’usage du samâ‘ pouvait représenter un des leviers de ce Renouveau spirituel escompté. Ces personnages avaient foi que l’audition musicale guérit les corps et les âmes. Ils convoquaient les grandes autorités spirituelles de la tradition pour conforter leur parti pris artistique. Ces hommes, qui étaient à la fois des fuqahā’ (jurisconsultes) et férus de littérature et d’histoire et appartenaient aux cercles très proches du Sultan Moulay Hassan Ier, soutenaient très fortement l’action rénovatrice du Souverain dans le sens d’une Réforme intégrale englobant bien entendu l’Art musical. Des traités de musicologie de la tradition maroco-andalouse furent composés, et un écrivain nous apprend qu’une audition de musique pouvait durer au palais royal du milieu de l’après-midi jusqu’à l’aube. Certains auteurs visaient de nouveaux résultats en musicothérapie.
L'édition au Maroc, récemment, d'une belle reproduction fac-similé du Kunnāsh al-Ḥā’ik, un des rares documents complets sur l'art de la musique maroco-andalouse, contribue à lever le voile sur un visage inédit de la culture savante. Le manuscrit que nous présentons témoigne à la fois de la profonde tradition musicale arabo-andalouse et de l'ingéniosité de la tradition des arts du livre, qui constituent un legs des calligraphes, des copistes, des enlumineurs, des doreurs et des relieurs. Le patrimoine, conservé dans les bibliothèques publiques et privées au Maroc est d'une réelle richesse scientifique, littéraire et spirituelle, conçu sous un format hautement esthétique.

Musiques du Maghreb : paysage et points de repère
Cette conférence abordera les grandes lignes des univers sonores du Maghreb : l’arabo-andalou des lettrés, les modes maqamat, le monde des musiques populaires citadines et celui des musiques rurales. Marc Loopuyt a longuement fréquenté les maîtres de Fès, de Béni-Mellal et de Constantine : Abdel Karim Rais, Ustad Massano Tazi, Ahmed Chiki, Ma’alem Abiqa, Selim Fergani ainsi que de grandes figures orientales. Son exposé inclura également leurs weltanschaung-s artistiques. L’univers des rythmes sera illustré de manière interactive avec le concours des spectateurs qui le souhaiteront. L’univers des modes mélodiques, maqāmāt et tobé sera présenté grâce à l’appui du luth oriental capable d’expliciter les intervalles les plus ténus, et dont la présence émaillera tout le déroulement de l’exposé. Le thème de la poésie trouvera aussi sa place, en particulier en ce qui concerne l’usage musicale de la musique soufie. Le tracé géométrique du luth ainsi que celui de son symbolisme spatial et vibratoire seront également traités.
Marc Loopuyt s’est formé musicalement au cours de longs séjours sur le terrain : Andalousie, Maroc ( montagne et ville ), Turquie, Syrie, Azerbaïdjan. Professeur certifié en musiques orientales, il enseigne 26 ans en Conservatoire. Il produit toute une série de CD de ses maîtres, puis les siens propres. Outre de nombreux articles en ethnomusicologie, il signe un premier livre à la Cité de la Musique (Un luth mythique de Damas). Le second qui relate des échanges approfondis avec les maîtres de la Méditerranée au Caucase s’intitule le Voyage, la Musique et le fil d’Ariane » (éd. Les Trois Colonnes) et il sera présenté à cette occasion.
Coordination : Francesco Chiabotti (INALCO-CERMOM)
Avec la participation de :
• Jaafar Kansoussi, chercheur indépendant, membre du Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle (Maroc), président de l’association al-Munya de Marrakech.
• Marc Loopuyt, oudiste et musicologue.
Le projet MAG-Renew est lauréat des projets d’excellence de l’Institut Français d’Islamologie.
