Explorer les formes de la violence dans la société poutinienne à travers la littérature contemporaine

Le CREE (Inalco), le CECILLE (Université de Lille) et l'Eur’ORBEM (Sorbonne Université/CNRS), avec le soutien du GDR Est (Groupement de recherche 2064, CNRS), de la Direction de la Recherche et de la Valorisation de Sorbonne Université, de l’ANR ArtAtWar et de la Bibliothèque Tourguenev, vous invitent aux Journées d’étude de l’Observatoire du sensible intitulées : "Explorer les formes de la violence dans la société poutinienne à travers la littérature contemporaine".
Dessin de loups noirs et d'une femme nue en apesenteur se cachant le visage
« Combien de vies brisées » — Série Conte lugubre ("Сколько загубленных жизней" Из серии "Мрачная сказка") © Anastasia Rydlevskaya‎

Argumentaire de la manifestation scientifique

Prendre le pouls de la société russe à travers la littérature contemporaine

L’invasion à grande échelle de l’Ukraine dans laquelle s’est engagée la Russie le 24 février 2022 a suscité de nouvelles réflexions dans des champs de recherche variés (histoire, sciences politiques, sociologie, études mémorielles). Cette agression amène à s’interroger sur les processus profonds et durables qui ont pu mener à son acceptation et à son soutien au sein d’une partie importante de la population russe, ainsi qu’à la généralisation des crimes de guerre (assassinats de civils, usage du viol comme arme de guerre, pillages). À l’heure où nos regards sont rivés sur les champs de bataille et les exactions en tant que telles, émerge une réflexion sur le caractère systémique d’une violence qui ne se manifeste pas uniquement sur le terrain militaire, mais également de façon plus diffuse dans le discours public comme dans la sphère privée, notamment à l’encontre des femmes et des minorités.

Pour nourrir cette réflexion, nous avons lancé en 2023 un cycle de rencontres avec des autrices et auteurs contemporains invités à partager le regard qu’elles/ils portent sur la société russe dans leurs textes. Au détour de ces rencontres, nous avons souhaité explorer la littérature russophone contemporaine pour y « prendre le pouls » de cette société, en sentir l’atmosphère particulière dans l’ère poutinienne des années de guerre et celles qui ont précédé. La littérature peut en effet permettre de saisir certains phénomènes et certaines évolutions de la société, à travers l’évocation parfois directe d’une violence décriminalisée et banalisée, comme à travers des « petits riens » (poustiaki) révélateurs : détails du quotidien, bribes de conversations entendues, comportements observés.

Les journées d’études visent à dresser un premier bilan des deux premières années d’existence de ce projet au long cours.

Ces journées seront l’occasion d’interroger la façon dont la violence se problématise dans la société russe à l’époque poutinienne. Si les années 1990 ont pu constituer une parenthèse de liberté, elles sont aussi apparues comme un moment où la violence, dont le « monopole » était jusqu’en 1991 détenu par l’Etat soviétique, s’est redistribuée dans la société russe et s’est exercée en dehors du socle idéologique qui lui donnait une forme de légitimité : le « bespredel » analysé par Borenstein (2008) se présente ainsi comme une violence privatisée, réappropriée par des acteurs individuels selon des logiques personnelles. Cette violence est celle qui traverse par exemple les films de Balabanov, où elle est exercée autant par des représentants de la loi que par des civils, sur des cibles qui semblent souvent déterminées en partie par le hasard et l’arbitraire individuel. L’arrivée au pouvoir de Poutine fait l’objet d’un récit médiatique et gouvernemental qui le présente comme l’homme ayant mis fin au bespredel en instaurant une « dictature de la loi » [diktatura zakona] et une « verticale du pouvoir » [vertikal’ vlasti]. Toutefois, s’il a certes « domestiqu[é] la violence mafieuse », c’est en « intégrant dans l’appareil d’État » ceux qui exerçaient cette violence dans les années 1990 (Favarel-Garrigues, 2008). Pour la Russie contemporaine, Anna Colin-Lebedev parle ainsi d’une « violence comme mode de gouvernement » (Colin-Lebedev, 2022), à l’échelle étatique, mais qui semble se propager jusque dans la cellule familiale, avec une tolérance légale pour certaines formes de violence interpersonnelle. Si l’impact de la redistribution de la violence sur les représentations culturelles des années 1990 a été étudié (Beumers, Lipovetsky, 2009), les évolutions (formelles, sociologiques) de la période poutinienne demeurent encore largement sous-explorées ; ces journées entendent contribuer à combler cette lacune.

Nous nous intéresserons aussi à la question de l’autodéfense et des violences réactionnelles (Dorlin, 2017) : la contre-violence que pourraient exercer les victimes en réaction aux violences étatiques, historiques, familiales est-elle pensée dans cette littérature et sous quelle forme ? Y a-t-il dans cette littérature une violence qui ne serait pas au service du pouvoir politique ou de son idéologie, même si elle est représentée pour être dénoncée ? Dans la littérature dite d’opposition, le titre du livre de Daria Serenko portant sur son exil politique, Je souhaite des cendres à ma maison, a ainsi fait couler beaucoup d’encre : la violence à l’encontre de la Russie que certains y ont vu, sans nécessairement prêter attention au contenu véritable de l’ouvrage, a pu paraître inadmissible, y compris dans certains cercles anti-guerre. Dans quelle mesure les représentations de la violence dans la littérature russe contemporaine font-elles une place à l’autodéfense ? De façon plus théorique, ces débats sur la légitimité de la contre-violence invitent à une réflexion sur l’ontologie de la violence : relève-t-elle d’une même essence mauvaise – qui, selon les préceptes tolstoïens, devrait toujours être tenue pour inacceptable – ou faut-il penser une pluralité de violences, aux natures distinctes, appelant des critiques différenciées, voire susceptibles, dans certains cas, d’échapper à la critique ?

Programme de la manifestation scientifique

Mercredi 3 décembre 2025

Auditorium Dumézil - Maison de la recherche de l’Inalco (2 rue de Lille, Paris 7e)

- 9h30-9h45 : Accueil des participant.e.s

- 9h45h-12h : Panel 1 - Violences sexistes, sexuelles et domestiques

Modération : Luba Jurgenson (Sorbonne Université)

  • Daria Terebikhina-Noël (Université Rennes 2) : Écrire face à l’incursion politique dans l’intime : hybridité et résistances féminines dans la littérature russe contemporaine.
  • Kateryna Tarasiuk (Université de Strasbourg) : Nommer les violences sexuelles, sexistes et homophobes exercées sur le corps féminin, c’est prendre soin de soi et des autres : le cas des Récits de Natalia Mechtchaninova et de Blessure d’Oksana Vasiakina.
  • Sylvia Chassaing (Inalco) : Tuer le mâle : enjeux de la représentation des violences réactionnelles dans la prose russophone contemporaine.

 

- 12h-13h30 : Pause déjeuner 

 

- 13h30-16h : Panel 2 - Formes et modalités de la représentation des violences 

Modération : Hélène Mélat (Sorbonne Université)

  • Elena Gordienko (Inalco) : Entre distanciation et réappropriation : fictionnalisation du témoignage de violence sexuelle dans le théâtre russe contemporain.
  • Anastasia Kozyreva (Inalco) : Dmitri Markov : mettre en images et en récit la violence du quotidien.
  • Julie Gerber (Université Grenoble Alpes) : Représentations de la violence et métaphore animale dans les derniers romans de Maria Stepanova et Sergueï Lebedev.
  • Hélène Henry-Safier (Sorbonne Université) : Les petites filles qu’on dévêt, de Maria Stepanova, ou la première violence.

     

 - 16h-16h30 : Pause café

 

- 16h30-18h30 :  Table ronde sur l’autofiction

Modération : Larissa Muraveva (Université Grenoble Alpes, PAUSE)        

Participant.e.s : Daria Apakhontchich, Dinara Rasuleva, Alexey Voïnov, Éditions Shell(f)

 

Jeudi 4 décembre 2025

Matinée 

Salle des Fresques - Sorbonne (17 rue de la Sorbonne - Paris 5e)

⚠ Inscription préalable obligatoire pour les personnes extérieures à Sorbonne Université

- 9h-10h15 : Panel 3 - Violences contre les minorités sexuelles 

Modération : Nicolas Aude (Sorbonne Université)

  • Lilya Dyachenko (Université de Genève) : Queeritude des ruines. Récits gay et lesbiens dans les paysages délaissés du sud de la Volga.
  • Liz Dyachenko-Escalle (Université Paris Nanterre) : Présence et absence des personnes trans et non-binaires dans la littérature queer russophone contemporaine.

 

- 10h15-10h30 : Pause café 

 

- 10h30-13h : Panel 4 - Violences nationales, héritages coloniaux, migrations

Modération : Domenico Scagliusi (Sorbonne Université)

  • Yana Meerzon (Université d’Ottawa) : Corps migrants, héritages coloniaux : violences et résistances dans le théâtre russe contemporain.

  • Bella Delacroix-Ostromooukhova (Sorbonne Université) : Place et rôle de la violence dans la littérature russophone pour adolescents. L’exemple de La voix de Daria Dotsouk.

  • Laura Piccolo (Université Roma Tre) : Émigration et violence : notes sur Appendix d’Alexandra Petrova.

  • Guilhem Pousson (Sorbonne Université) :  L’exil comme retour au pays natal dans Hiver sans Neige d’Alexey Voïnov.

 

- 13h-14h30 : Pause déjeuner 

 

Après-midi 

Salle de conférences - Institut d’études slaves (9 rue Michelet - Paris 6e)

- 15h-17h : Table ronde sur la littérature documentaire

Modération : Guilhem Pousson (Sorbonne Université)

Participant.e.s : Elena Kostiouchenko, Evguénia Nekrassova, Andreï Stadnikov, Lida Youssoupova.

 

- 17h-18h30 : Cocktail de clôture

 

Organisation

  • Sylvia Chassaing (CREE, Inalco)                                      
  • Claire Delaunay (CECILLE, Université de Lille)                 
  • Guilhem Pousson (EUR’ORBEM, Sorbonne Université)         
  • Domenico Scagliusi (EUR’ORBEM, Sorbonne Université)         
  • Maria Turgieva (EUR’ORBEM, Sorbonne Université)            

Contacts

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